Jackie Barral, Le ralenti des choses

Le retour au dessin

Jackie Bar­ral a pra­ti­qué très tôt le des­sin. Sur­tout grâce à son grand-père appa­reilleur : “plan, coupe, élé­va­tion, rabat­te­ment, pers­pec­tive, épure… mes études com­blèrent ces appren­tis­sages d’abord fami­liaux”. Une telle approche liant le des­sin “artis­tique” et “scien­ti­fique” fait retour aujourd’hui dans la pra­tique de l’artiste — même si il ne l’a jamais réel­le­ment quit­tée. Il per­met l’échange de signes, enri­chit l’écriture. Il crée aussi des “sus­pen­sions irra­tion­nelles” là où l’imaginaire est sur­pris par ce qu’il pro­duit : “vous pen­siez tra­cer un caillou et il res­semble à un sein”. Et ce, dans un retour au risque afin de cas­ser toute faci­lité.
Pour J. Bar­ral, le des­sin est donc l’inverse du cinéma, cet “art qui la ter­ro­rise, une lan­terne hal­lu­ci­na­toire” et dans lequel gran­deur et vitesse empêchent de voir. Et à y regar­der de près — comme le livre le pro­pose -, tout l’univers de l’artiste est là. S’y engagent la scru­ta­tion de la propre scru­ta­tion de la créa­trice, l’approfondissement du visible. Et ce, depuis l’expérience pre­mière : tout enfant, avant d’écrire, entre­prend cette figu­ra­tion ini­tiale de l’univers sou­mis à sa main.

Le des­sin est donc le contraire de la pein­ture : rien de vapo­reux, de secon­daire. Bref, pas de tulle. Aucun état gazeux. Juste la cap­ture par les lignes de ce que l’imaginaire “sait” du monde et qu’une longue pra­tique per­met d’affiner au fil du temps. Le noir du gra­phisme est la déme­sure de la force de l’artiste, la cible de sa limite. Et Jackie Bar­ral crée des struc­tures du silence dans le moindre rec­tangle. S’ouvrent l’ombreux et l’opaque pour ren­voyer sur un autre mys­tère qui doit autant au regard strict qu’à la viva­cité de la main.
Et lorsque celle-ci défaille, l’artiste reprend les contours noc­turnes pour reprendre et affi­ner en 2 D. des sta­tues et des gouffres : rates, os, gre­nades s’ouvrent jusqu’à intro­duire “en quan­tité infi­ni­té­si­male la mélan­co­lie”. Si bien que chaque des­sin — du début de l’histoire de l’artiste jusqu’à son aujourd’hui — devient ponc­tion dans le monde et révé­la­tion. Le noir aux courbes nom­breuses “opère” la nuit enrou­lée sur son grouille­ment, lève son obs­truc­tion. Et ce, comme avant la cou­leur, avant la beauté mais pour qu’elles fusionnent dans cette élec­tion du gra­phite, ses coupes sombres, sa fièvre.

La mono­chro­mie crée une pro­fu­sion par­ti­cu­lière. Si bien que la des­crip­tion du monde est autant celle de la vie men­tale. Le corps lui même est gou­dronné jusqu’au sang, rigi­di­fié par ce qui tremble en lui. Manière de se tenir dedans ou de subir sa face lorsque la scal­pel tranche pour appor­ter pré­ci­sion et mys­tère. L’artiste y loge l’éclat, déli­vré de la néga­tion, construit l’écart qui retient la lumière pour qu’une masse cri­tique ne cesse d’osciller.

jean-paul gavard-perret

Jackie Bar­ral, Le ralenti des choses, Fata Mor­gana, Font­froide le Haut, 2017.

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