Une intrigue pauvre qui ne supporte pas l’épaisseur des personnages qu’elle anime
Pornarina est un ouvrage qui appellera autant d’opinions divergentes qu’il comptera de lecteurs. L’imagination et la plume qu’on y trouve méritent une attention particulière. Mais elles servent ici une intrigue qui, au-delà de l’ambiance dans laquelle elle s’inscrit, perd très vite de son intérêt malgré une 4ème de couverture plutôt racoleuse.
C’est ainsi qu’on entre dans la vie du Docteur Franz Blazek (vieux tératologue et fils de sœurs siamoises) et d’Antonie (une jeune femme au squelette élastique recueillie et élevée par le docteur en marge de la société). Tous deux vivent pour ainsi dire reclus dans un château moyenâgeux où s’accumulent, pour lui, les fruits et témoignages de son expertise et, pour elle, les idées que l’on peut se faire de l’Autre et du Monde dans un univers aussi sombre que celui dans lequel son père adoptif l’a faite évoluer.
Depuis des décennies, Blazek, comme beaucoup d’autres « Pornarinologues », vouent à Pornarina (une légendaire prostituée à tête de cheval qui assassine ses amants en les émasculant à coup de mâchoire) un culte qui les pousse, ensemble, à se réunir et à disserter sur le sujet de leur passion et, concurremment, à la pister avec l’espoir ultime et fantasmique de mettre la main dessus et de la rencontrer.
Blazek a une petite longueur d’avance sur ses homologues grâce aux informations que lui livre un contact dont il dispose en Italie. Mais, bientôt, la source se tarit. Blazek envoie alors Antonie sur les traces de son informateur. En se lançant, à son tour, sur les traces de la prostituée mais, surtout et finalement, sur les traces de ceux qui la traquent également, Antonie va évoluer et révéler ses propres déviances. Elle deviendra Antonia, figure mutationnelle de la prostituée tant recherchée.
Plaisirs
A travers cet ouvrage, l’auteur donne vie à une poignée de personnages hors normes qui évoluent dans un univers sombre ou le corps tout entier est abandonné aux déviances de l’esprit. Un tel contexte suffit déjà à éveiller la curiosité. Lorsque, de surcroît, on sait que tous ces personnages ont consacré leur vie à tenter (sans succès) de retrouver une prostituée à tête de cheval (métaphoriquement, les deux meilleurs amis de l’homme réunis en une seule entité) prétendument responsable d’un grand nombre d’homicides par castration, l’intérêt (évidemment malsain) se joint à la curiosité.
On se laisse alors embarquer par l’histoire et on loue l’audace et l’inventivité de l’auteur. Enfin quelque chose qui sort de l’ordinaire et qui nous conduit tout droit dans (ou tout au fond d’) un univers néogothique où les déviances humaines fleurettent bon avec le macabre et le sexe. Comment rester indifférent ?
On a du mal, car les déviances ne laissent jamais de marbre et le tout est mis en texte par une plume soignée, sophistiquée, érudite, qui informe, détaille, dissèque, le plus souvent avec justesse et parfois même beauté, y compris lorsque la laideur s’en mêle. Elle donne du galon aux déviances qu’elle hisse sur l’autel de la pathologie. Elle fait des personnes qu’elle dirige et de la dépravation qui les habite des points de mire, des centres d’intérêts à eux seuls qui, à n’en point douter, vont alimenter une intrigue à la hauteur de leur démesure.
La machine est lancée. Tous les ingrédients sont là pour faire monter une magnifique mayonnaise et les pages défilent.
Regrets / reproches
Mais les pages ont beau défiler, la mayonnaise ne prend pas. Et on finit malheureusement par deviner qu’elle ne prendra pas. Le fil du récit s’enlise dans des descriptions qui confinent tantôt au catalogue tantôt à la petite galerie des horreurs. Passée la surprise des personnages, du contexte et de l’ambiance, l’intrigue s’essouffle, perd en cohérence et, s’avérant trop pauvre pour supporter l’épaisseur des personnages qu’elle anime, finit par mourir bien avant la fin de l’ouvrage.
Fin qui, d’ailleurs, n’offre rien et déçoit. On reste avec cette impression qu’au fil des pages, les personnages sont devenus orphelins de l’histoire dont il avaient besoin pour exprimer leur potentiel. Et le lecteur de toujours escompter un rebond scénaristique qui le tienne en émoi.
darren bryte
Raphaël Eymery, Pornarina, Denoël (Lunes d’Encre), 2017, 208 p. – 19,00 €.