Jean-Pierre Melville, François Truffaut, Claude Chabrol, Louis Malle, Claude Lelouch, Entretiens avec Jacques Chancel

Du bon et du moins bon

Jacques Chan­cel avait la répu­ta­tion d’un excellent inter­vie­weur, il n’est donc pas éton­nant qu’un édi­teur ait décidé de tirer un livre de cer­tains entre­tiens que le jour­na­liste avait réa­li­sés pour l’émission “Radio­sco­pies“.
L’ouvrage com­mence par une pré­face plu­tôt courte et rien moins qu’indispensable, qui per­met d’apprendre que Chris­tine Mas­son confond les verbes “déce­ler“ et “des­cel­ler“. Vient ensuite, judi­cieu­se­ment placé en pre­mier, l’entretien avec Jean-Pierre Mel­ville, de loin le plus inté­res­sant, et pro­ba­ble­ment le plus sin­cère parmi les “confes­sions“ de cinéastes réunies ici. Inter­rogé sur son “per­son­nage“, l’homme au Stet­son se décrit ainsi : “[…] je crois que j’ai été tout bête­ment ce que j’étais fait pour être, enfin un peu une brute fon­çante dans cer­tains cas, et le reste du temps, un ani­mal terré dans sa tanière“ (p. 21), auto­por­trait qui contraste for­te­ment avec les pré­ten­tions de cer­tains confrères.
On découvre aussi un aspect de son expé­rience que, pour ma part, j’ignorais tota­le­ment : ayant perdu son père à quinze ans, il “se bala­dait, rue Réau­mur, avec des semelles trouées“, tout en fai­sant de petits bou­lots, mais ne s’en por­tait pas plus mal, car ayant refusé de pour­suivre ses études, il se sen­tait “libre de rêver“ (p. 29). La liberté de rêver, voilà ce qui peut vrai­ment pro­fi­ter à un artiste-né, et de toute évi­dence, Jean-Pierre le savait long­temps avant de deve­nir Melville.

Une autre sur­prise que le recueil réserve au lec­teur : Fran­çois Truf­faut, qui s’était éta­bli déjà dans les années 1950 une situa­tion de fai­seur d’opinion, voire de juge infaillible en matière de cinéma, avouait, en 1969, qu’il ne se consi­dé­rait “pas du tout comme cultivé“ (p. 46) – ce qui laisse son­geur.
Dans le même ordre d’aveux éton­nants, Claude Cha­brol se pré­sente comme com­mu­niste “dans la ligne du parti“ (p. 105), tout en lais­sant entendre que son manque d’humilité et son goût du luxe l’empêchent de s’inscrire au PCF. En par­lant de poli­tique, il n’est pas le seul à payer son dû aux idées en vogue ou à l’esprit de l’époque où l’on retrou­vait dans tous les médias l’idée d’une révo­lu­tion immi­nente.
Le moins ins­truc­tif des entre­tiens est celui avec Claude Lelouch, ce qui tombe sous le sens, s’agissant d’un per­son­nage qui tient, depuis des décen­nies, à peu près tou­jours le même dis­cours, dont voici le résumé : “mon cinéma repose sur les grands sen­ti­ments“ (p. 151). Qui s’en serait aperçu sans qu’il nous le dise ?

A priori, le livre de Michèle Hal­bers­tadt pou­vait appa­raître comme un com­plé­ment aux entre­tiens de Jacques Chan­cel, étant éga­le­ment basé sur des échanges avec des artistes, mais dont la plu­part sont amé­ri­cains. Hélas, sous cou­vert de “ren­contres“, il s’agit sur­tout d’une entre­prise d’autocélébration, où l’auteur tient tou­jours le beau rôle : à en croire la façon dont Michèle Hal­bers­tadt se met en scène, elle n’avait pas son pareil, du temps où elle était jour­na­liste, pour gagner la confiance de ses inter­lo­cu­teurs, pour trou­ver les ques­tions les plus judi­cieuses et les plus éru­dites à leur poser, voire pour s’en faire des amis d’emblée.
Le lec­teur qui cher­che­rait dans le texte des infor­ma­tions inédites, plu­tôt que des anec­dotes auto­bio­gra­phiques et des inter­views recy­clées, doit se conten­ter de ce résumé de plu­sieurs heures pas­sées à dis­cu­ter avec Isa­belle Adjani : “Je rentre chez moi à trois heures du matin. J’ai passé une soi­rée mémo­rable. J’ai trouvé cette fille ado­rable, brillante, spi­ri­tuelle…“ (p. 67).

A part ce genre de révé­la­tions, Michèle Hal­bers­tadt qui, non contente d’être deve­nue pro­duc­trice, se consi­dère aussi comme roman­cière à l’heure actuelle, nous offre maintes phrases aux tour­nures mal­adroites telles que “[…] un stage de cinq jours obtenu grâce à une connais­sance d’un cou­sin par alliance qui tra­vaillait à la sta­tion, dont j’avais obtenu le numéro[…]“ (p. 22) ; “Une fois réglé les détails de mon inter­ven­tion sur scène le len­de­main (en fait, ma par­ti­ci­pa­tion durera dix minutes), je pars me pro­me­ner.“ (p. 42) ou “Les cri­tiques sou­lignent com­bien ce livre est auto­bio­gra­phique“ (p. 53), à pro­pos de Patrick Modiano qui ins­pire éga­le­ment à l’auteur cet élan lyrique : “Le stu­dio se trans­forme en ter­rain de ten­nis et je monte au filet, ramas­sant ses phrases inache­vées comme autant de balles pré­cieuses que j’ai pour mis­sion de faire rebon­dir pour les main­te­nir en vie.“ (p. 55).
On observe aussi que Michèle Hal­bers­tadt uti­lise sys­té­ma­ti­que­ment “démar­rer“ au lieu de “com­men­cer“, ce qui donne des for­mules élé­gantes comme celle-ci : “Notre ami­tié a démarré là.“ (p. 68). Faute de mieux choi­sir cer­tains de leurs auteurs, les édi­tions Albin Michel auraient pu au moins faire relire le texte par une cor­rec­trice.

agathe de lastyns

- Jean-Pierre Mel­ville, Fran­çois Truf­faut, Claude Cha­brol, Louis Malle, Claude Lelouch, Entre­tiens avec Jacques Chan­cel, La Table ronde/France Inter/INA, hors col­lec­tion, mai 2017, 184 p. – 20, 00 €.

- Michèle Hal­bers­tadt, Brèves ren­contres, Albin Michel, mai 2017, 216 p. – 18,00 €.

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