Anne Eliayan vers l’essentiel – entretien avec la photographe (“Regardons sous la peau de l’O”)

Pour Anne Eliayan, pho­to­gra­phier c’est pen­ser et faire au plus juste et reprendre le chaos là où d’autres images plus anciennes l’ont pro­vi­soi­re­ment figé. La pho­to­graphe rebrasse le désordre pour en déga­ger des axes de liberté et, faire jaillir des images sourdes des sen­sa­tions loin des codes admis. Il ne s’agit pas for­cé­ment de cou­per les ponts mais les remo­de­ler pour aller plus loin, regar­der ailleurs par des mon­tages capable de faire voir autre chose et trou­ver des pas­sages inédits.
Par creu­se­ment, recom­po­si­tion et syn­taxe visuelle Anne Eliayan fait pas­ser outre le sens, change d’expression car l’indicible est dedans pour peu qu’on tra­vaille à cette limite pour la repous­ser afin de mon­trer ce qui n’a jamais été vu. La pho­to­gra­phie se dégage des formes, plonge dans ses tour­billons dont la langue est encore incon­nue. Tout savoir dresse des écrans. Seule la folie de l’image dans sa clair­voyance les brise pour l’acceptation, de ce qui emporte et déplace le temps et le monde tels qu’ils sont.

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
La chance d’être en vie, le bon­heur de créer, d’échanger, d’aimer.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Mes rêves d’enfant sont intacts.

A quoi avez-vous renoncé ?
Il y a eu une période de ma vie ou j’avais renoncé à… moi ! Il m’a fallu de nom­breuses années pour trou­ver la sagesse de réagir à cette perte et me retrouver.

D’où venez-vous ?
Je suis un mixe inté­gré. Mes grands-parents pater­nels sont arri­vés de Tur­quie dans les années 20 avec une magni­fique éner­gie de vivre et de s’en sor­tir mal­gré un mode de vie et une langue incon­nus. Du côté de ma mère je puise un enra­ci­ne­ment pro­ven­çal pro­fond. Deux cultures mêlées qui m’ont beau­coup apporté.

Qu’avez-vous reçu en « héri­tage » ?
Le goût du tra­vail, le pou­voir des rêves, l’amour des arts, l’émotion et la sen­si­bi­lité, l’ambition de concré­ti­ser les pro­jets qui me semblent beaux et bons. Peut-être aussi le courage.

Qu’avez vous dû “pla­quer” pour votre tra­vail ?
Je vis sim­ple­ment, mais en har­mo­nie avec mes valeurs. Je n’ai pla­qué que le super­flu, ce qui a trait à l’apparence prin­ci­pa­le­ment. Je suis un peu en dehors de la consom­ma­tion car je prio­rise mes proches et ma créa­tion avant toute autre chose.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
De temps en temps le petit plai­sir d’aller regar­der le soleil se lever der­rière mon objec­tif.
Et, tous les jours, un grand plai­sir de savoir que les per­sonnes que j’aime res­pirent quelque part, non loin de moi.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres pho­to­graphes ?
Toutes mes pho­tos, depuis de nom­breuses années main­te­nant, ont l’ambition d’être livrées aux autres. A tra­vers elles, je pro­pose une direc­tion. Libre à celui qui regarde de pour­suivre dans cette voie ou d’en trou­ver une autre. J’ai envie de mon­trer ce qui n’était pas lorsque j’ai appuyé sur le déclen­cheur : mon inter­pré­ta­tion per­son­nelle de ce qui est, accom­pa­gnée d’un mes­sage. Ma vérité, qui me semble plus belle que la réa­lité, plus par­faite.
Je pense que ce qui me dis­tingue vrai­ment, qui rend mon tra­vail dif­fé­rent, c’est le fait que je suis auto­di­dacte. J’ai créé mes propres tech­niques, ce qui en fin de compte m’a donné une signature.

Com­ment définiriez-vous votre manière d’aborder le por­trait ?
Le por­trait c’est jouer avec la lumière pour faire appa­raître l’âme. C’est un exer­cice très difficile.

Quelle fut l’image pre­mière qui esthé­ti­que­ment vous inter­pella ?
Je ne peux vous répondre. Je ne sais même pas pour­quoi j’ai choisi de faire de la pho­to­gra­phie alors que j’étais ado­les­cente. C’était comme ça. Il y avait un côté magique et j’y ai trouvé un for­mi­dable ter­rain d’expression. Je peux juste vous dire que mon pho­to­graphe pré­féré c’est Ste­phen Shore, ses pho­tos, par leur sim­pli­cité appa­rente, leur effi­ca­cité, les cadrages incli­nés, me remuent profondément.

Et votre pre­mière lec­ture ?
J’ai beau­coup lu de poé­sies, Ver­laine a été dans mon ado­les­cence un de mes auteurs pré­fé­rés. Il avait le don de faire naître les images des mots.

Quelles musiques écoutez-vous ?
Selon mon humeur du rock comme du baroque.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
« Samar­cande » d’Amin Maa­louf mais aussi “Le nom de la rose” d’Umberto Eco ainsi que de la poé­sie bien sûr.

Quel film vous fait pleu­rer ?
« Doc­teur Jivago».

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Une femme comme bien d’autres.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
J’aime écrire, je ne me suis jamais cen­su­rée. Par­fois cela aurait été préférable !

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
J’aime la ville qui m’a vue gran­dir. Arles, pour toute son his­toire et son odeur d’enfance.

Quels sont les écri­vains et artistes dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Cela fait pré­ten­tieux… Andy Warhol pour les cou­leurs et le déca­lage et Vincent van Gogh pour la recherche abso­lue. Tous les deux sont très modernes dans leurs démarches et ont offert cha­cun à leur manière à leurs contem­po­rains des tech­niques et angles de vue qui cas­saient les codes.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Sur­tout rien !

Que défendez-vous ?
La fra­ter­nité, le par­tage, l’écologie, le fait que le monde n’est pas foutu que la nature est très forte et peut être encore sau­vée. Le pou­voir du beau, du bon, le fait qu’un peu de gen­tillesse peut faire naître des cas­cades de bonnes actions. Qu’il faut être bien inten­tionné. La résistance.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Je ne sous­cris pas du tout à cette phrase. L’amour, tout le monde l’a dans son cœur et tout le monde veut en recevoir !

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
Ah, le pou­voir du oui ! Cette phrase me donne envie de dire qu’il faut tou­jours res­ter ouvert en pos­ture favo­rable aux évé­ne­ments, « en mode oui » tout en fai­sant atten­tion de res­ter soi-même et de ne pas ser­vir le « oui » des autres. Donc « oui… mais ! ».

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Pour­quoi ? Vous pen­sez vrai­ment qu’il pour­rait y avoir encore des questions ?

Pré­sen­ta­tion et entre­tien réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 19 juillet 2017.

 

 

 

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One Response to Anne Eliayan vers l’essentiel – entretien avec la photographe (“Regardons sous la peau de l’O”)

  1. GEORGES-HUBERT DUTEL

    J’adhère à ces pro­pos simples, justes, et bons, et beaux comme le sont les pho­tos d’Anne et son approche ins­tinc­tive et natu­relle de l’art, sans “chi­chi”, sans “pré­ten­tion” autre que dire et mon­trer les choses, la vie, avec sa propre his­toire et vérité.
    GHu

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