Jean-Pierre Boudine, Le paradoxe de Fermi

L’effon­dre­ment de l’économie mon­diale : imparable !

Jean-Pierre Bou­dine est pro­fes­seur agrégé de mathé­ma­tiques, auteur d’ouvrages sur son domaine et l’enseignement. Il a écrit deux romans Sur la route des terres rares et le pré­sent livre. Celui-ci, conçu en 2000– 2001, est paru en 2002 chez Aléas. Il a été actua­lisé en 2015 pour la col­lec­tion Lunes d’Encre chez Denoël. C’est cette nou­velle ver­sion que Folio reprend.
Enrico Fermi, un mathé­ma­ti­cien ita­lien (1901–1954) lau­réat d’un Nobel de Phy­sique en 1938, a émis, lors d’une dis­cus­sion avec des amis aux États-Unis en 1950, une hypo­thèse attrac­tive sur la réa­lité de civi­li­sa­tions extraterrestres.

Robert Poin­sot est par­venu, au terme d’un par­cours chao­tique dans les Alpes de l’Est. Il est seul mais vit dans la peur de ren­con­trer quelqu’un. La civi­li­sa­tion s’est effon­drée. C’est parce qu’il a trouvé des cahiers et des crayons qu’il entre­prend de racon­ter ce qui s’est passé, ce qu’il a vu, ce qu’il a com­pris dans la rapide dégra­da­tion de la société où il avait fait sa place comme cher­cheur. Il vit et tra­vaille à Paris quand les médias annoncent une nou­velle crise sys­té­mique, une annonce qu’il vit serei­ne­ment. Le phé­no­mène a déjà eu lieu et…
Il ne s’inquiète pas trop quand son cadre de vie com­mence à se dégra­der. Son salaire est versé de façon aléa­toire, des entre­prises ferment, les médias émettent de moins en moins, la livrai­son d’électricité devient moins fiable… Et puis la nour­ri­ture se raré­fie, les nou­velles aussi, la télé­vi­sion ne fonc­tionne plus car il n’y plus d’énergie. Les forces de l’ordre peinent à conte­nir une insé­cu­rité crois­sante, les pillages, les attaques, les vols sont mon­naie cou­rante. Avec ses proches et des amis, Robert part pour Beau­vais où habite sa mère. Ils connaissent un temps de répit mais sont rat­tra­pés par le chaos et contraints de cher­cher d’autres havres. Et puis…

Il est dif­fi­cile de prendre le déve­lop­pe­ment et le rai­son­ne­ment de l’auteur en défaut. Il décrit, avec une pré­ci­sion d’entomologiste les enchaî­ne­ments sans emphase ni lar­moie­ment. Il décrit une réa­lité, une suc­ces­sion de faits, les uns ame­nant la consé­quence des autres. Un des inté­rêts de ce roman est dans l’approche du récit, celui d’un témoin qui raconte, avec les élé­ments qu’il a pu sai­sir, voir, com­prendre, sans cepen­dant avoir une vue glo­bale sans connaître les tenants et les abou­tis­sants. Il constate des faits, leurs inci­dences sur son exis­tence quo­ti­dienne et les consé­quences sociales. Son per­son­nage dresse un constat qu’il pense réa­liste sur le début des évé­ne­ments, puis par­tiel sur la suite et hypo­thé­tique pour la fin.
Il prend en compte les situa­tions actuelles et les pro­jette. Ainsi, que se passera-t-il quand les usines qui four­nissent annuel­le­ment et obli­ga­toi­re­ment des semences aux agri­cul­teurs ne fonc­tion­ne­ront plus par manque d’énergie ? Il dresse sur l’humanité un constat par­fois amer, sans illu­sion sur la nature des indi­vi­dus avec par exemple : “Mais presque n’importe qui, à la place qui per­met d’avoir des pri­vi­lèges, s’arroge les pri­vi­lèges.” Paral­lè­le­ment, il décrit la vie d’un indi­vidu en mon­tagne, isolé, avec pour seules res­sources, celles de son envi­ron­ne­ment natu­rel et ses faibles moyens humains. Mon­ta­gnard, l’auteur connaît bien ce qu’il décrit, la beauté d’un mas­sif mais les réels dan­gers pour quelqu’un de novice dans cet environnement.

Jean-Pierre Bou­dine pro­pose une solu­tion très per­ti­nente au para­doxe du mathé­ma­ti­cien ita­lien. Elle a le mérite d’expliquer pour­quoi, bien qu’il ne soit pas pen­sable que le “phé­no­mène” humain soit unique dans toute la galaxie, les ren­contres ne se font pas. Ce roman est com­plété par une remar­quable post­face de Jean-Marc Levy-Leblond, phy­si­cien.
Jean-Pierre Bou­dine, à tra­vers ce roman pas­sion­nant, argu­menté, docu­menté, d’une forte cohé­rence dans le dérou­le­ment, montre com­bien notre société est fra­gile, mena­cée et qu’il faut peu de choses pour qu’elle décline et dis­pa­raisse. Il fait prendre conscience, si besoin était, de l’urgence de recom­po­ser les situa­tions actuelles, de redon­ner une forme sociale au sens noble du terme au mode de civi­li­sa­tion occidental.

serge per­raud

Jean-Pierre Bou­dine, Le para­doxe de Fermi, Folio SF n° 579, juin 2017, 224 p. – 6,60 €.

 

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