Christophe Bier, Ernest

Prendre son pied

Adepte du mau­vais genre, Chris­tophe Bier avoue sans fard qu’il a vécu long­temps une « pas­sion inno­cente : la podo­phi­lie ». Epris, il écri­vit alors « des confes­sions apo­cryphes dans les revues de petites annonces. Lettres-Escarpins, Confi­dences pédestres, Jambes, Talons Ver­tiges ou encore le défunt Pieds dont j’appréciais la sim­pli­cité du titre ». Le tout sans la moindre once de vul­ga­rité. Ce féti­chisme s’il ne fit pas sa for­tune (mais ce n’était pas le but) le com­bla d’aise.
Il ne s’arrêta pas en si bon che­min. Il sou­qua ferme « chez Lips et dans l’éphémère Nom­bril indé­cent qui man­quait cruel­le­ment d’abonnés. Sans oublier les romans de gare porno, dans les­quels mes pseu­do­nymes se mul­ti­pliaient ». Maître chaus­seur, il se moquait néan­moins des vers à pieds et s’offrait le luxe de mul­ti­plier ses titres : « Talons en furie, Le Mol­let des ten­ta­tions sau­vages, L’Obscène Orteil, L’Unijambiste cuis­sardé». Peu à peu, il trouva même dans la pié­taille quelques fans et osa par­fois même signer « Ernest de Cli­chy » ses ava­tars peu sen­sibles aux cli­chés et aux oignons.

Que reste-t-il de telles ivresses sinon cet aveu ? Il va comme un gant à la main ou plu­tôt la chaus­sette au pied. Pas ques­tion d’en bous­cu­ler la grâce. Face aux fins de moi des membres infé­rieurs, l’homme est ce qu’il est : plan­ti­grade voûté. Mais c’est sa manière d’éviter d’avoir trop mal à ses idées avant qu’elles deviennent noires comme cer­tains pieds. Déchar­nés ou adi­peux, ils ont de la sève.
L’étalon haut face à eux n’est jamais vaincu ou délaissé. La mémoire le tra­verse et cer­taines plantes le rendent vivace. Le corps n’y est plus de cire mais de cir­cons­tance, la chair y trinque avec le bitume ou le par­quet. Elle saute les étages loin de l’indifférence géné­ra­li­sée. L’être y est aussi bête que ses pieds. Ce qui est bien sûr qu’une façon de parler.

D’autant qu’ici une élé­gance qui n’a rien de crasse cha­touille le ver­nis des appa­rences. Et non sans humour d’un tel valet de pieds : c’est le bon pru­rit pour rame­ner la carne hors de ses blin­dages et en voir enfin dépas­ser l’orteil en guise d’âme. Mais il faut une arai­gnée dans la tête pour évo­quer un tel cinéma et qu’une sain­teté advienne. Ecce humus, ecce homo semble rap­pe­ler Bier en ses gor­gées de pro­me­neur et pié­ton de Paris.
Le pied reste dans sa tête et c’est le meilleur moyen de rede­ve­nir humain.

jean-paul gavard-perret

Chris­tophe Bier,  Ernest,  Lit­té­ra­ture mineure Edi­tions, Rouen, 2017 - 10,00  €.

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Filed under Erotisme, Poésie

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