Avec son premier roman, Nathan Hill frappe fort en un mixage de vérités et mensonges, politique et affaires intimes. Un gouverneur candidat aux élections présidentielles est agressé par une femme. Les médias s’emparent de l’histoire. Une vidéo virale fait le tour du pays. L’assaillante est surnommée « Calamity Packer » du nom de sa victime plus ou moins douteuse. Le fils de la première est loin de se douter de ce qui se passe trop occupé à passer son temps à jouer en ligne via le Net. Sa mère l‘a d’ailleurs abandonné depuis longtemps et il ne s’en soucie plus jusqu’à ce que l’éditeur de son roman — qui lui a payé une forte avance — le poursuive en justice eu égard à l’action maternelle.
Pour sauver les meubles, le jeune homme propose à l’éditeur un projet croustillant : son « tout sur ma mère ». Mais ne sachant rien sur elle il commence son enquête. L’objectif original a pour but de la dégommer. Mais la reconstitution entraîne un lot de surprises et de révisions. De la Norvège des années quarante au Middle West des années soixante, des émeutes de Chicago en 1968 au New York post-11-Septembre et jusqu’à l’Amérique d’aujourd’hui et de ses démons, l’auteur crée une fresque à la Irving mixée de Roth. Mais la « pastorale américaine » épique prend l’odeur de bitume et de souffre.
La prose de Hill est bourrée de verve. Et le héros qui voulait achever une mère taxée de hippie radicale et d’enseignante prostituée ne va pouvoir embrayer sur la vindicte populaire en dépit du rejet compréhensible qu’il caresse envers la si peu maternante. Il va réviser ses poncifs et prédicats. Cela permet à l’auteur de dresser un portrait cruel de son pays. Le livre devient une photographie en mouvement du « bon » (vivre) en Amérique à travers la génération de la mère et du fils.
Par le choix de ses mots, le sens de la scansion (forcément difficile à transmettre en version française), l’auteur laboure les apparences, soulève certaines profondeurs. Tout est intelligent et drôle. Passionnant aussi de bout en bout entre grande et petite histoire. La vérité de principe ou l’apparence présupposée en cache bien d’autres et l’auteur montre comment tout ce qui s’écrit revient à légender le réel selon des choix qui répondent le plus souvent à ce que le monde veut voir ou entendre.
Peuvent aussi se lire sous la fiction et ses personnages des êtres réels — célèbres comme le vice président Hubert Humphrey ou anonymes. Ils donnent de l’Amérique une image aussi quasi tragique que drôle dans des passages de franc burlesque où les aigrefins sont pléthoriques. Et dont l’acmé se trouve lors de la rencontre de la mère et de son fils.
Le romancier fait passer du rire à la colère sans jamais désarmer. En bon postmoderne, il peut changer de genre, de facture sans problème pour décrire les rouages de la société. En même temps , il crée sa propre « Montagne magique ». Il ne cherche pas la tradition du nouveau mais une rupture avec une veine oubliée. Il existe chez lui de l’impressionnisme et du réalisme.
Mais ce qui tranche reste la qualité d’ « exécution ». Elle prouve que le roman n’est pas fait pour théoriser mais pour fomenter des incartades plus violentes que celle que la bonne société condamne. Jamais anodin, le roman est passionnant. Plus que le réel lui-même. Ce qui n ‘est pas toujours vrai.
jean-paul gavard-perret
Nathan Hill, Les fantômes du vieux pays (The Nix), traduction de l’anglais (USA) par Mathilde Bach, Gallimard, Paris, 2017.