Les héros populaires ne meurent jamais. Leurs créateurs essaient bien de s’en débarrasser quand ils les jugent trop envahissants, mais c’est peine perdue. D’ailleurs, ils continuent de vivre après la mort de leur inventeur. Lupin a vécu nombre d’aventures, après le décès de Maurice Leblanc, sous la plume de Boileau-Narcejac et tout récemment sous celle d’Adrien Goetz (Grasset– 2015). On ne compte plus les romans, bandes dessinées où il apparaît soit comme héros soit comme personnage inspirant les héros.
Au Louvre, sous les traits d’un baron, Arsène Lupin montre son talent de peintre pour éblouir une jeune et belle élève de Gustave Moreau.
À l’Assemblée Nationale, Béranger de la Motte, un jeune et brillant député prend la défense d’un industriel en attaquant Lupin. Il reproche à celui-ci d’avoir cambriolé un homme déjà au bord du désespoir face au drame survenu sur ses chantiers navals.
Georges Clemenceau, qui n’a pas été réélu, gagne sa vie comme journaliste à l’Écho de Paris. Un paquet lui a été envoyé en urgence. Le contenu le fait bondir. Il a les preuves que Martin-Laroche est une crapule des plus abjectes, responsable de la mort et des blessures de dizaines d’ouvriers. Il prend, dans un article au vitriol, la défense de Lupin et somme de la Motte de justifier son parti pris mensonger et odieux.
C’est sous le nom du baron Lapérière que Lupin est au château de Lillebonne, les lieux où il grandi, pour se souvenir de celui qui l’a sorti du bagne pour enfants, accueilli, formé en faisant son héritier direct dans une vieille, très vieille confrérie. Mais, il vient surtout voir Athéna del Sarto, la jeune institutrice de l’orphelinat qu’il a fondé, dont il est amoureux. Celle-ci est amoureuse de Lupin et elle a deviné la véritable identité du baron. Elle lui annonce qu’elle va rompre définitivement avec Béranger, dans les bras duquel ses parents l’ont poussée, et lui donne rendez-vous le lendemain au Bazar de la Charité pour s’enfuir avec lui et se battre à ses côtés. La scène se déroule le 3 mai 1897…
Dix ans plus tard, Lupin est accusé d’avoir vendu des secrets militaires à l’Allemagne, une Allemagne qui se prépare pour la guerre…. Lupin serait-il devenu un vulgaire bandit, un meurtrier, un traître ? Pour rétablir la vérité, le gentleman cambrioleur doit livrer une rude bataille contre des adversaires redoutables.
Avec Les Héritiers, les deux romanciers plongent dans le passé du célèbre héros, proposant une version inédite d’une partie de sa jeunesse, époque que Maurice Leblanc a peu évoquée. Celui-ci n’a livré, au fil des aventures, que quelques indications. Profitant de ce vide, Benoît Abtey et Pierre Deschodt imaginent une adolescence qui s’intègre fort bien dans l’esprit de la saga et donne à ce facétieux gentlemen une grandeur nouvelle… si besoin était !
Le récit se rattache à des événements et des personnages historiques authentiques tels que l’incendie du Bazar de la Charité. Ce drame fit, dans la haute société, plus de cent vingt victimes, presque toutes des femmes. Clemenceau entre en scène, non plus comme homme politique, mais comme journaliste prenant la défense de Lupin face de fausses accusations. On retrouve dans ce roman tout ce qui concourt à rendre ce héros populaire son caractère généreux, son intelligence, son panache, son courage, qui excelle dans l’art du travestissement, s’appuyant sur une bande entièrement dévouée à sa cause. De plus, il œuvre comme justicier, prenant aux riches malhonnêtes, aidant anonymement la justice tout en se moquant de l’autorité et de ses représentants.
On retrouve dans ce roman l’action, l’aventure, la corruption, l’ambition, la traîtrise, beaucoup de rebondissements et de suspense. Les romanciers n’hésitent pas à donner de la grandiloquence dans l’expression des sentiments, surtout les sentiments amoureux et les conflits intérieurs des personnages. Lupin doit faire face à une galerie de protagonistes tous plus ignobles les uns que les autres.
Un magnifique roman qui renoue avec la tradition du roman populaire d’antan avec un héros emblématique dans des aventures mouvementées, énigmatiques à souhait.
serge perraud
Benoît Abtey & Pierre Deschodt, Les nouvelles aventures d’Arsène Lupin : Les Héritiers, Éditions 10/18, coll. “Grands détectives”, mai 2017, 336 p. - 7,80 €.