Que ce texte soit traduit par Jacques Darras est un signe : le livre, plus que récit, est une œuvre poétique incantatoire où se mêlent existences et paysages. Deux femmes anglaises se retrouvent sous le soleil d’une île grecque avec ce qu’un tel lieu suscite comme rêverie. Se crée un étrange dialogue. May raconte ses passions amoureuses, violentes, charnelles mais pas seulement. Cet amour est fini car l’amoureux (un écrivain grec) est mort.
Mais son ombre la hante comme celui qui au même moment la projette vers le futur. Toutefois, les blessures encore prégnantes créent un doute quant aux possibilités d’une passion neuve dont elle craint moins la flamme que la brûlure. Or les deux ne peuvent se dissocier.
Toutes les affres sont imprégnées de longues nuits et de jour au soleil presque aussi cuisant que l’amour. Si bien que le récit intime se mêle aux grottes grecques qui dominent l’Egée. Chaque lieu devient le contre-champ d’Eros et de mort que l’évocation de Joy Coulentianos provoque. Face à l’amie savante et sérieuse, May reste la sensuelle à l’imagination débordante qui lui fait perdre ce qu’on nomme le sens des réalités. Tout se joue entre évocation, récit, dialogue où l’ivresse des alcools s’invite parfois entre les deux femmes. Elles tentent de se comprendre sans que l’auteur donne forcément de réponses. C’est d’ailleurs ce qui rend son livre si puissant et énigmatique.
Il répond à celui qui l’écrivain grec écrivit avant de mourir et qu’il intitula Dis-moi qui aimer... Il fut inventé avant la rencontre de May mais celle-ci lui donna sans doute la réponse. Elle fut en quelque sorte le dernier sortilège et la fatalité de l’écrivain. Et celui-ci lui rendit bien. Elle reste – obsédée par cet homme — son obligée.
Il ne lui laisse pas de répit au milieu des vents qui harcèlent l’île comme celles et ceux qui la hantent : les deux Anglaises lourdes de leurs angoisses et blessures mais pas seulement. Il y a là des prostituées et leurs maquereaux, des rêveurs, des vivants et des morts. Du vin aussi. Et cette histoire devient celle d’une superbe plaie que l’héroïne ne cesse de gratter comme si elle ne pouvait n’être que victime d’elle-même.
L’auteur donne corps aux tiraillements et à l’incertitude face au temps humain trop humain. L’œuvre revient sans cesse aux mêmes vertiges. Elle représente la tentative constante de chercher en soi l’ailleurs mais c’est sans compter avec un corps délié, nocturne, dissocié, démenti dont l’énergie non seulement devient introuvable mais à laquelle toute direction s’est effacée. May semble ne pouvoir se retenir à rien dans un monde qui ne représente qu’une aire dont elle n’éprouve que les glissements et les dédales et sur lesquels sans cesse descend la nuit.
jean-paul gavard-perret
Joy Coulentianos, May, traduit du grec par Jacques Darras, Editions de la Bibliothèque, 2017.
Merci cher Jean-Paul Gavard Perret pour cet article si bien senti et restituant les méandres aussi beaux que vénéneux du livre. Jacques Daras n’est pas Jacques Darras.
Bien à vous.
J. damade
Bonjour, une question : comment se fait-il que ce livre soit traduit du grec ? Joy était américaine, il me semble improbable qu’elle l’ait écrit en grec… Merci votre attention.