François-Henri Désérable, Un certain M. Piekielny

Entrer en baronnie

Enfant, Romain Gary reçu une sorte de requête : «Quand tu ren­con­tre­ras de grands per­son­nages, des hommes impor­tants, promets-moi de leur dire : au n° 16 de la rue Grande-Pohulanka, à Wilno, habi­tait M. Pie­kielny ». Il res­pecta cette pro­messe faite à ce voi­sin (qui res­sem­blait à “une sou­ris triste” et qui devina en lui un enfant au grand ave­nir) lorsqu’il devint résis­tant, diplo­mate et bien sûr écri­vain. Et l’auteur de pré­ci­ser dans  La Pro­messe de l’aube : « Des estrades de l’ONU à l’Ambassade de Londres, du Palais Fédé­ral de Berne à l’Élysée, devant Charles de Gaulle et Vichinsky, devant les hauts digni­taires et les bâtis­seurs pour mille ans, je n’ai jamais man­qué de men­tion­ner l’existence du petit homme ».
A côté de l’humour cher à l’auteur, cet homme mys­té­rieux devint un per­son­nage baroque, pica­resque. Le per­son­nage du Baron.

Pour sa part,  dès qu’il se met à écrire et afin de ne pas cris­tal­li­ser son écri­ture dans l’autofiction, Dés­érable croit inven­ter un per­son­nage : « un Chi­lien d’une qua­ran­taine d’années, mélan­co­lique, d’origine ger­ma­nique, qui des­cen­drait de barons baltes et reven­di­que­rait tout au long du livre ses ori­gines pré­ten­du­ment nobi­liaires ». De fait, ce baron exis­tait déjà : c’était le per­son­nage récur­rent des romans de Gary. Mais avant de le soup­çon­ner, il invente pour un autre récit avec un nou­veau noble : le Baron de Saint-Pesant. Et c’est à ce moment là que le jeune auteur découvre le fameux Baron de Gary. Celui-là, et comme son auteur, prend dif­fé­rents pseudo dans des romans où il appa­raît, le plus sou­vent sans rai­son direc­te­ment logique et nar­ra­tive (Le Grand Ves­tiaire, les Cou­leurs du jour, Les Racines du ciel, les Man­geurs d’étoiles, La Danse de Gen­gis Cohn, la Tête cou­pable et Europa).

C’est dans un bus qui venait de Vil­nius (ville natale de Gary) que l’auteur a décou­vert Romain Gary et son « Baron » en lisant La Pro­messe de l’Aube. Dés­érable fut aus­si­tôt hanté par la phrase citée en début d’article. Il par­tit à la décou­verte de cet être mys­té­rieux, appa­rem­ment dépourvu de réa­lité, typi­que­ment incon­gru, gêneur, plus ou moins et a priori fou. Les cri­tiques de Gary ont cher­ché bien des généa­lo­gies à un tel per­son­nage : le baron de Nun­cin­gen de Bal­zac, celui de Mün­ch­hau­sen issu comme Gary des pays baltes, et comme lui encore, boni­men­teur de génie, maître des mytho­ma­nies.
Mais pour Roman Gary ce per­son­nage est un idéa­liste d’un genre par­ti­cu­lier : « un enfant de pute qui trouve que la terre n’est pas un endroit assez bien pour lui. » (Les man­geurs d’étoiles).

Désé­rable, jeté par hasard devant la mai­son d’un tel « héros », remonte donc l’histoire de celui qui fut en équi­libre instable entre deux sta­tuts : ordon­na­teur des hautes œuvres et par­fait char­la­ta­nisme. Ce per­son­nage le fas­cine comme il fas­cina Gary dont le sou­hait fut — et le jeune roman­cier l’a lu — : « quand je ne serai plus là, ou même avant, j’aimerais beau­coup que d’autres roman­ciers le reprennent et le conti­nuent ». Dés­érable l’a réa­lisé super­be­ment. En hom­mage autant à ce per­son­nage qu’à Gary lui-même. Il est donc entré en baron­nie. Pour sau­ver et ven­ger M. Pie­kielny qui « a fini en savon pour satis­faire les besoins de pro­preté des nazis » comme l’écrivit Gary.
A l’auteur qui vécut plu­sieurs vies, son cadet en ajoute une. Manière de s’inventer en pour­sui­vant les jeux de miroir de Gary/Ajar. Bref, il répond à ceux qui affirment que nous aurions besoin d’un cin­quième Romain Gary aujourd’hui. A sa manière, ce superbe roman offre la nou­velle ver­sion de l’écrivain (et de son personnage).

jean-paul gavard-perret

François-Henri Dés­érable,  Un cer­tain M. Pie­kielny, Gal­li­mard, col­lec­tion Blanche,  Paris,  2017, 272 p.

 

 

 

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