Ce n’est plus qu’une question d’heures…
Il est des préjugés aussi tenaces que tentant, mais dangereux. Ainsi, il pourrait paraître aux yeux du lecteur pressé que la couverture et sa couleur (un rouge quasi satanique) de même que le titre du dernier roman de Robert Harris invitent à un ennui mortifère assuré. Or, non seulement il n’en est rien mais c’est même tout le contraire, tant le propos défie ici toutes les attentes en ce qu’il parvient sans coup férir à composer de manière remarquable une atmosphère étouffante et oppressante ô combien dans un huis clos des plus conventionnels — sur le papier.
Le papier, Harris s’en saisit et s’en fait le maître, justement, en osant — et c’est un coup de maître — un thriller au sein d’un des lieux censés les plus calmes et harmonieux au monde qui soit : le Vatican, et plus précisément la chapelle Sixtine, au cours d’une longue procédure de vote afin d’élire, pendant le temps du conclave qui donne son nom à l’oeuvre, le nouveau pape. Un Saint-Père des temps modernes marqués par la crise de l’Eglise que, sur la place Saint-Pierre, deux cent cinquante mille chrétiens attendent de voir au balcon après que la fameuse fumée blanche soit apparue.
De fait, dans un futur proche (proche au point que les teroristes islamistes sévissent toujours et menacent de leurs attentats collectifs l’Europe de la chrétienté) cent dix-huit cardinaux venus des quatre continents se retrouvent réunis à Rome, suite au décès du pape, afin de procéder à l’élection la plus secrète qui soit. Il y aura huit tours de vote et la magie du roman au suspense croissant tient à ce que, entre chaque vote, Harris fait monter la tension entre les protagonistes cloîtrés pour raison de neutralité et d’objectivité au bénéfice du vote crucial. Car, las ou tant mieux, ces indéniables hommes de foi étant humains trop humains ont aussi pléthore d’ambitions… et beaucoup de rivaux qui convoitent tous la place suprême.
Nous suivons ainsi le parcours héroïque du cardinal Lomeli, doyen du Collège des cardinaux et qui préside au bon déroulement canonique de ce conclave, avec face à lui les manoeuvres madrées du traditionaliste Tedesco, de l’ambitieux Nord-Américain Tremblay ou encore de l’Africain Adeyemi aux positions on ne peut plus arrêtées sur les femmes et le mariage gay. Sans oublier un cardinal, officiant à Bagdad, arrivé au Vatican à la dernière minute, au sens propre, et que personne ne connaît car nommé in pectore (“dans le secret du coeur”) par le dernier pape peu de temps avant sa mort afin de protéger son identité.
Pendant qu’en secret se fomentent toutes les alliances et s’ourdissent tous les complots, Robert Harris tisse sa toile de more geometrico comme eut pu dire Spinoza et délivre avec une documentation et un sens du détail sans faille (tant au sujet de la topographie des lieux, des habitudes vestimentaires que des médiations religieuses) — avec parfois des velléités pédagogiques appuyées que d’aucuns lui reprocheront sûrement mais entre le bon grain et l’ivraie… — une visite en règle, certes des turpitudes mentales des uns et des autres, mais surtout d’un endroit où le commun des mortels jamais ne pénètre.
Même si l’on déplore des maladresses de traduction ou d’impression (notamment dans les premières pages : 17 (“Pus” au lieu de “Plus”) et 23 (des “questions urgentes auxquelles le monde attendrait des réponses”) par exemple), ce Conclave qui décrit comment l’un de ces cardinaux va devenir la figure spirituelle la plus puissante au monde frappe par son originalité — jusqu’au twist final dont rien ne sera dit céans puisque les voies du romancier, à l’instar de celles du Seigneur, doivent savoir rester impénétrables.
Ite, missa est !
frederic grolleau
Robert Harris, Conclave, traduit de l’anglais par N. Zimmermann, Plon, juin 2017, 356 p. — 21,90 €.