Axel Corti, Welcome in Vienna

 Pro­fi­tez des longues soi­rées d’hiver pour vous immer­ger dans cette oeuvre aussi dense que profonde

Le 22 février 1942, Ste­fan Zweig met fin à ses jours, au Bré­sil : évé­ne­ment peut-être mar­gi­nal et anec­do­tique dans l’histoire de la guerre, certes ; mais à la ter­rible réso­nance. L’extinction d’une lan­terne vien­noise. Dans la tri­lo­gie ciné­ma­to­gra­phique d’Axel Corti, la mort de l’écrivain est à peine évo­quée, mais elle y occupe une place cen­trale, en plein milieu du deuxième volet. La nou­velle de la mort du grand écri­vain fait irrup­tion, pré­ci­pi­tant le déses­poir d’un vieil épi­cier new-yorkais converti dans l’écriture, alors qu’il cherche déses­pé­ré­ment à dire son mal, à dire l’exil. La mort de Zweig met un terme à ses efforts et décrète l’impossible retour. Pour les juifs alle­mands et autri­chiens chas­sés d’Europe, le nou­veau monde amé­ri­cain n’en est pas un, il n’est pas le leur et ne peut le deve­nir. Leur monde s’est écroulé. Les Ulysses ont perdu leur Ithaque. Les trois films qui com­posent ce cof­fret racontent leur his­toire. L’ensemble fonc­tionne comme un trip­tyque, et chaque pan­neau vaut son pesant de cacahouètes…

 

 Welcome in Vienna est le titre gon­flé d’ironie du der­nier volet ; le seul à être sorti dans les salles fran­çaises en 1986. Freddy Wolff, devenu sol­dat des Etats-Unis retrouve sa ville en ruine, Vienne, sa rue et ses anciens voi­sins. La déchi­rure de l’exil a fait son oeuvre : la faille entre les deux souf­frances est béante. Com­ment reve­nir vrai­ment, au delà de l’uniforme, de la vic­toire, de l’occupation, des crimes? Par l’amour peut-être, par la culture, par le théâtre… pfff. Faux-semblants pour pan­ser des tra­gé­dies. Le film est noir, ter­rible. Sub­til. Mais il n’est que la der­nière pièce d’un édi­fice plus vaste encore, qui, en entier, mérite son public.

Voir un extrait

 Le vrai titre du trip­tyque ciné­ma­to­gra­phique est  Wohin und Zurück … Il y a dans ce titre une détresse intra­dui­sible. Détresse de l’exil et de la recherche d’un asile en temps de guerre. Après la mort de son père lors de la nuit de Cris­tal, plus rien ne retient le jeune Ferry Tobler qui tra­verse alors toute l’Europe, poussé par la guerre qui le suit. Détresse de Freddy Wolff, qui, par­venu aux Etats-Unis, rêve, dans les bras d’un amour impos­sible, d’un Santa Fe inutile et mythique. Pris au piège d’une iden­tité for­cée, il trou­vera dans la guerre le moyen de reve­nir chez lui, de se retour­ner pour se retrou­ver peut-être, mal­gré l’exemple de Zweig, mal­gré l’Amérique.
Les per­son­nages peuvent être fic­tifs mais l’ensemble s’appuie sur le par­cours réel et authen­tique vécu par le scé­na­riste talen­tueux du film : Georg Ste­fan Trol­ler (dont une inter­view cap­ti­vante accom­pagne d’ailleurs un des films du coffret).

 Chaque étape du par­cours, chaque film pos­sède son ambiance et ses mondes, mais l’ensemble est mar­qué par une dyna­mique sur­pre­nante et vitale. Contrai­re­ment à la plu­part des films qui touchent et abordent ce sujet et cette his­toire, ces films-là refusent d’aborder la mort en face et ne dressent en aucune façon le por­trait d’un défunt. Il y a deux façons de tirer un trait : à la ver­ti­cale c’est tran­cher : faire le bilan, la liste, décrire tout ce qui a dis­paru… nom­mer les cadavres… iden­ti­fier l’Europe en ruine, l’année zéro de l’ Alle­magne… la toute puis­sance amé­ri­caine. Chouette, un nou­veau départ ! Ce nou­veau départ c’est peut-être, dans les loges d’un théâtre, se dégui­ser avec un vrai uni­forme SS et assu­mer… Mais voilà, ces films là tirent un trait à l’horizontale, alors c’est moins simple, forcément.

 Parce que le vrai défi était de mon­trer les condi­tions d’une sur­vie col­lec­tive. Mal­gré la mort qui tourne, qui rôde, res­ter insai­sis­sable et vivant. Mieux vaut l’absurde que le néant. Le gris que le noir. Reve­nir et res­ter, mal­gré tout. Cette tri­lo­gie est une leçon d’existence.

camille ara­nyossy

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Un cof­fret qui mérite tous les éloges

La célèbre tri­lo­gie d’Axel Corti, récom­pen­sée dans les années 1986–1987 à de nom­breux fes­ti­vals de cinéma, était res­tée pra­ti­que­ment inac­ces­sible aux spec­ta­teurs fran­çais jusqu’à l’année der­nière où elle est sor­tie sur grand écran de façon plu­tôt dis­crète. On ne peut que féli­ci­ter les édi­tions Mont­par­nasse et Le Pacte d’avoir réa­lisé ce cof­fret, non seule­ment bien fait mais aussi bon mar­ché, qui per­met­tra à de nom­breux ciné­philes de décou­vrir ou de revoir ces trois films magni­fiques.
La tri­lo­gie met en scène l’expérience d’une dou­zaine de per­son­nages, hommes et femmes, jeunes ou âgés, tous juifs et contraints de fuir le régime hit­lé­rien. Tiré de sou­ve­nirs per­son­nels, le scé­na­rio de Georg Ste­fan Trol­ler a, entre autres qua­li­tés, celle d’éviter com­plè­te­ment le mani­chéisme, et de repré­sen­ter les pro­ta­go­nistes comme des gens « ordi­naires », d’une façon qui sus­cite chez le spec­ta­teur à la fois l’identification et la réflexion sur la nature humaine. L’on suit les épreuves que ces êtres subissent d’abord à Vienne, puis à Prague, à Paris, à Mar­seille et à New York, avant le retour à Vienne de cer­tains d’entre eux, qui se sont enga­gés dans l’armée amé­ri­caine. Leur par­cours consti­tue le pano­rama le plus vaste qui se puisse don­ner d’une période his­to­rique, sans un soup­çon de didac­tisme, de manière hale­tante et bouleversante.

A chaque étape, Axel Corti recons­ti­tue la situa­tion socio-politique locale avec une maes­tria d’autant plus admi­rable que ni le scé­na­rio ni sa mise en scène ne sont pro­pre­ment réa­listes : l’aspect sty­lisé des dia­logues et de cer­taines situa­tions ne fait jamais que ren­for­cer l’effet de vérité qu’ils pro­duisent. C’est là l’un des traits qui font de la tri­lo­gie un chef-d’œuvre, à ran­ger sans hési­ta­tion parmi les plus mar­quants de l’histoire du cinéma. Même un spec­ta­teur qui serait repu de films sur la Seconde Guerre mon­diale ou qui ne s’est jamais inté­ressé aux évé­ne­ments repré­sen­tés ne sau­rait qu’être cap­tivé et aba­sourdi par Wel­come in Vienna.
La tri­lo­gie a pour sup­plé­ment un entre­tien d’environ 1 h 40 avec Georg Ste­fan Trol­ler, docu­ment qui vaut à lui seul de se pro­cu­rer le cof­fret. Le scé­na­riste y parle de son passé, de la genèse des films et de leur récep­tion, avec un mélange d’intelligence brillante, de rete­nue et d’humour qui nous donne l’impression d’observer un sage dou­blé d’un héros. En matière de témoi­gnage filmé, on peut dif­fi­ci­le­ment trou­ver quelque chose d’aussi remar­quable, sur le plan intel­lec­tuel comme humai­ne­ment par­lant.
Précipitez-vous sur ce cof­fret, il mérite tous les éloges et toutes les récom­penses.

agathe de lastyns

 

Cof­fret DVD :  Wel­come in Vienna 
tri­lo­gie d’Axel Corti
N&B
7h30
VOST
Com­plé­ment : inter­view du scé­na­riste G.S. Trol­ler (1h40).
Le Pacte –Edi­tions Mont­par­nasse
sep­tembre 2012
Cof­fret 25 €.

 

 

 

 

 

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