D’une réalité terrible ( l’eugénisme et un projet de loi sur le Contrôle des faibles d’esprit qu’un médecin « fou » et insensible caresse de ses vœux), l’auteure crée une fiction dont — par la forme même — pointe une réponse. Elle tente envers et contre tout de faire émerger en un érotisme doux, crémeux au sein d’un bal. La danse n’y a rien de gesticulé ou de déglingué. Un de ses couples –Ella et John — de l’asile d’aliénés de Sharston (Yorkshire) du début du siècle dernier va troubler la donne. La femme surtout — moins folle que révoltée — mais qui avait fini par accepter la routine de l’institution de la maison des fous qui pourraient devenir celle des morts.
Dès lors, le bal du vendredi soir qui rassemble hommes et femmes au sein d’une réalité historique pourrait venir à bout du « chagrin des vivants », du moins tant que faire se peut. Le romancière introduit au sein de la balistique insensible et insensé du lieu les stigmates d’une spontanéité chorégraphiée.
Les danseur créent une tension mystérieuse qui vient rompre l’ordre établi et ses « promesses ». S’affiche une discontinuité dans la continu. Et il existe là la matière d’un film même si l’écriture reste sans doute plus forte que les images pour une prise d’élan face à ce que le lieu d’isolation enferme. Le bal devient une plage où celles et ceux qui sont brisés et sont considérés comme de simple restes se recomposent. Soudain, face au présent immobile et sans véritable présent, s’inscrit une circulation au sein du cadre d’autorité.
Tout n’est pas simple et bucolique pour autant. Mais Anna Hope, comme les grandes romancières anglaises, entraîne dans une ronde passionnée et dangereuse, cadencée et scandée là où la vie est à réinventer. Phrasés embrayeurs, premiers tours de chauffe annoncent un « ça tourne » en apartés face à une certaine époque et sa réalité.
jean-paul gavard-perret
Anna Hope, La salle de bal, Traduit de l’anglais par Élodie Leplat, Gallimard, collection « Du monde entier », 2017. En librairie le 18 aout.