Pour Emmanuelle Pidoux créer c’est sortir de soi, y entrer. Peu à peu le support ouvre un théâtre intime dont un chat est le premier témoin. Flotte un certain rapport à l’air ambiant ou rasant et d’autres délicieuses « maladresses » donnent à l’oeuvre le charme obsédant du plaisir de s’y perdre. La plasticienne explore un lieu labyrinthique situé entre réel et imaginaire. Elle fore le premier pour qu’en surgisse le second. Chaque œuvre est un défi qu’Emmanuelle Pidoux ne peut esquiver, tant il rejoint ses interrogations essentielles dont les réponses se passent de mots.
La « matière » première des dessins est prise dans la réalité vécue. Mais l’artiste la filtre pour la révélation physiologique, obsessionnelle par intention, compréhension, histoire et correspondances là où tout porte des marques de circularité incertaine. Les images jouent entre les marques de reconnaissance familière et ce qui se heurte à l’invisible. La créatrice atteint un équilibre : il produit cet effet de vestibule ou d’antichambre, où nous restons cloîtrés tout en percevant les échos d’une « voix » qui parle à l’intérieur au moment où le dessin n’est pas seulement la racines de l’œuvre mais son économie propre. Il n’est pas adjacent, il est premier. Si bien que dessin et dessein vont de paire.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Mon alarme.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Ils sont restés des rêves d’enfant.
A quoi avez-vous renoncé ?
À la célébrité.
D’où venez-vous ?
De la Banlieue.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
Les dents de travers, une bonne dose de colère, un déséquilibre nerveux, et surtout une amnésie installée. Et pour contrebalancer, de la réactivité, de la compassion (parfois), de l’indulgence (depuis peu), et du bon sens.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Un chat.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Mon manque d’ambition.
Comment définiriez-vous votre approche du dessin ?
J’utilise des matériaux pauvres, stylos bille, crayons de bois, rien d’impressionnant. Il ne s’agit pas d’impressionner.
J’ai de l’intérêt pour ce qui est laborieux, j’approche le dessin comme je m’emploie à « la tâche ». Chez moi, dans le quotidien, sans artifices, sans applaudissements.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Le canevas encadré chez mes grands-parents qui représentait la Liseuse de Fragonard . Elle ressemblait à ma mère.
Et votre première lecture ?
Je ne sais pas, il y avait ce livre pour enfant qui m’intriguait beaucoup, un livre sur une famille de gens gros et une famille de gens maigre. J’aimais bien aussi le dictionnaire médical de ma tante.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Je n’écoute quasiment pas de musique, juste France-inter.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
Un livre de Duras : « La Vie matérielle ».
Quel film vous fait pleurer ?
Je ne sais plus, de toutes façons je pleure pour un rien.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Moi, vieillie.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Ecrire ne m’a jamais effrayé. Quand j’étais étudiante j’admirais le travail d’Annette Messager à qui j’avais écrit. Elle m’a répondu, une petite carte postale avec un gentil mot et son numéro de téléphone. Je n’ai jamais osé… téléphoner.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Le Transsibérien, un lieu qui bouge (d’une certaine manière)
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Des femmes sans aucun doute. Donc au risque de paraître tout à fait banale : Kiki Smith et Louise Bourgeois plus que tout. Françoise Pétrovitch, Annette Messager, Rebecca Horn, Christine Deknuydt. Et pour citer quelques hommes, je dirais Ragnar Persson, Gustave Doré… Jockum Nordström.
Et puis Jonas Mekas pour son journal filmé dont je me sens très proche.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Un dessin original de Simon Hanselmann.
Que défendez-vous ?
L’exigence.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
J’ai toujours le vague sentiment que les citations sont des supercheries de langage.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Je pense que Woody Allen a de la répartie.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Etes-vous réelle ?
Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 20 juin 2017.