Claude Lucas, A gauche de l’horloge

Echos

Le média radio­pho­nique per­met de dépe­cer, de faire dis­pa­raître le corps pour ne mettre en pré­sence que de son seul spectre vocal. Chez Lucas, il n’est par­fois qu’un souf­flé ténu fai­sant pas­ser d’un état triom­phant à un état déca­dent comme si tout ne per­du­rait que par une sorte de pas­si­vité de l’oreille. Par­fois — moins “cas­cando” comme aurait dit Beckett –, la voix s’anime afin de prou­ver que la condi­tion d’homme est d’être là, dans sa seule sono­rité viscérale.C’est pour­quoi, après des années de disette et suite au refus de J-L Bar­rault de lire ses texte, Lucas, grâce à France Culture a écrit des fic­tions radio­pho­nique. Sor­tant de sa gla­cia­tion, il a retrouvé sa liberté de créa­tion en des “récits “ qui comme il l’écrit “s’évadant de la scène côté jar­din, s’insinuent par­tout, rom­pant les soli­tudes dans les chambres d’hôpitaux, les cel­lules de pri­son ou les alcôves déser­tées.”.
Grâce à la radio l’homme trouve un autre rap­port à lui-même, et l’oeuvre une autre jonc­tion au monde. La fable sonore ne ren­voie plus seule­ment au réel mais à l’imaginaire sans pour autant repré­sen­ter un “pro­duit typique des civi­li­sa­tions de l’âme” (Roland Barthes, “Lit­té­ra­ture lit­té­rale”). La fable radio­pho­nique peut pro­po­ser des conver­sa­tions qui n’en sont plus, dans un temps qui n’en est plus un. Elle peut ren­voyer à plus tard une ren­contre plus qu’improbable.

Bref, les pièces radio­pho­niques décon­di­tionnent les façons de voir, d’entendre, de per­ce­voir et repré­sentent un nou­veau sys­tème de “pro­jec­tion” idéal. Ne per­siste par­fois qu’un vague mou­ton­ne­ment ondu­la­toire dans l’affaissement du lan­gage comme si ce qui res­tait de vie n’était plus qu’un mur­mure à peine audible, un der­nier ves­tige sonore digne d’engendrer un ver­tige sur le réel, sur son vide, comme sur l’absence du “voca­teur” à lui-même, aux autres, au monde. L’auteur pour­suit son avan­cée en publiant à côté des textes dif­fu­sés deux textes inédits : “À gauche de l’horloge” et “L’Atrapanieblas”, comé­die plus auto­bio­gra­phique et déri­soire. Les autres pièces sont à la fois plus sombres mais légères afin de com­pen­ser leur noir­ceur fon­da­men­tale. Lucas pro­cède sou­vent à l’allégement pro­gres­sif de la gaze sonore.. Il ne s’agit pas de se prendre et de se perdre dans l’enivrement de concepts. . Et le mur­mure des textes n’exprime pas une quel­conque rêve­rie.
Avec le média radio­pho­nique, le corps absent ne peut plus véri­ta­ble­ment agir. Il ne peut que subir son état et pâtir de l’empâtement sonore de sa bouche au moment où le vivant appa­raît sou­vent dérisoire.De la chair pal­pi­tante, il ne reste rien ou presque rien qu’une voix par­fois revi­go­rante mais par­fois dévastée.

Mais ici, le rendez-vous du voyeu­risme et de l’exhibitionnisme que pro­pose le théâtre est annulé. A la radio, d’une cer­taine manière, l’émetteur parle dans le vide, il n’est pas cer­tain qu’au-delà des ondes une oreille l’écoute. Le média ouvre ainsi un doute quant à la récep­tion du mes­sage par un audi­teur peut-être inté­ressé mais peut-être dis­trait, peu cap­tivé par ce mes­sage qu’il reçoit par­fois de manière incon­grue au milieu d’autres per­cep­tions qui l’environnent et l’accaparent.
Le son n’est donc plus que cet élé­ment impal­pable où sur­nagent l’onde, le souffle du corps. Lucas trans­forme néan­moins les misères diverses en une sorte d’exaltation. Elle marque une souf­france, ou plu­tôt un manque, une faille, une bri­sure mais de manière sour­de­ment iro­nique. L’auteur sait ouvrir le média radio­pho­nique sinon au “chant des bouches mortes”(Beckett) du moins à celles qui mur­murent face au silence. Afin de le sou­le­ver mais aussi par­fois de le parachever.

jean-paul gavard-perret

Claude Lucas,  A gauche de l’horloge, P.O. L édi­teur, 2017, 360 p. — 28,00 €.

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