Le média radiophonique permet de dépecer, de faire disparaître le corps pour ne mettre en présence que de son seul spectre vocal. Chez Lucas, il n’est parfois qu’un soufflé ténu faisant passer d’un état triomphant à un état décadent comme si tout ne perdurait que par une sorte de passivité de l’oreille. Parfois — moins “cascando” comme aurait dit Beckett –, la voix s’anime afin de prouver que la condition d’homme est d’être là, dans sa seule sonorité viscérale.C’est pourquoi, après des années de disette et suite au refus de J-L Barrault de lire ses texte, Lucas, grâce à France Culture a écrit des fictions radiophonique. Sortant de sa glaciation, il a retrouvé sa liberté de création en des “récits “ qui comme il l’écrit “s’évadant de la scène côté jardin, s’insinuent partout, rompant les solitudes dans les chambres d’hôpitaux, les cellules de prison ou les alcôves désertées.”.
Grâce à la radio l’homme trouve un autre rapport à lui-même, et l’oeuvre une autre jonction au monde. La fable sonore ne renvoie plus seulement au réel mais à l’imaginaire sans pour autant représenter un “produit typique des civilisations de l’âme” (Roland Barthes, “Littérature littérale”). La fable radiophonique peut proposer des conversations qui n’en sont plus, dans un temps qui n’en est plus un. Elle peut renvoyer à plus tard une rencontre plus qu’improbable.
Bref, les pièces radiophoniques déconditionnent les façons de voir, d’entendre, de percevoir et représentent un nouveau système de “projection” idéal. Ne persiste parfois qu’un vague moutonnement ondulatoire dans l’affaissement du langage comme si ce qui restait de vie n’était plus qu’un murmure à peine audible, un dernier vestige sonore digne d’engendrer un vertige sur le réel, sur son vide, comme sur l’absence du “vocateur” à lui-même, aux autres, au monde. L’auteur poursuit son avancée en publiant à côté des textes diffusés deux textes inédits : “À gauche de l’horloge” et “L’Atrapanieblas”, comédie plus autobiographique et dérisoire. Les autres pièces sont à la fois plus sombres mais légères afin de compenser leur noirceur fondamentale. Lucas procède souvent à l’allégement progressif de la gaze sonore.. Il ne s’agit pas de se prendre et de se perdre dans l’enivrement de concepts. . Et le murmure des textes n’exprime pas une quelconque rêverie.
Avec le média radiophonique, le corps absent ne peut plus véritablement agir. Il ne peut que subir son état et pâtir de l’empâtement sonore de sa bouche au moment où le vivant apparaît souvent dérisoire.De la chair palpitante, il ne reste rien ou presque rien qu’une voix parfois revigorante mais parfois dévastée.
Mais ici, le rendez-vous du voyeurisme et de l’exhibitionnisme que propose le théâtre est annulé. A la radio, d’une certaine manière, l’émetteur parle dans le vide, il n’est pas certain qu’au-delà des ondes une oreille l’écoute. Le média ouvre ainsi un doute quant à la réception du message par un auditeur peut-être intéressé mais peut-être distrait, peu captivé par ce message qu’il reçoit parfois de manière incongrue au milieu d’autres perceptions qui l’environnent et l’accaparent.
Le son n’est donc plus que cet élément impalpable où surnagent l’onde, le souffle du corps. Lucas transforme néanmoins les misères diverses en une sorte d’exaltation. Elle marque une souffrance, ou plutôt un manque, une faille, une brisure mais de manière sourdement ironique. L’auteur sait ouvrir le média radiophonique sinon au “chant des bouches mortes”(Beckett) du moins à celles qui murmurent face au silence. Afin de le soulever mais aussi parfois de le parachever.
jean-paul gavard-perret
Claude Lucas, A gauche de l’horloge, P.O. L éditeur, 2017, 360 p. — 28,00 €.