Un livre sur le handicap. Et sur la possibilité de l’art malgré celui-ci
L’espace d’un instant, avouons-le, on peut avoir peur d’être tombé sur un livre à la modernité tellement moderne qu’on finit par s’y perdre. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 98 pages, 243 fragments d’histoires diverses mélangés en tout sens. Et pour enfoncer le clou, la première phrase assène : Dans un texte des carnets de choses difficiles à expliquer, le poète aveugle parle d’un certain évènement dans une institution connue sous le nom de citadelle finale. Qu’on se le dise, les choses seront donc difficile à expliquer. Et de toute manière, on s’en apercevra assez vite, personne n’essaiera de les expliquer.
Pourtant, le livre ne cherche pas à égarer le lecteur. Il commence doucement en enchaînant les histoires de manière régulière, tous les 5 fragments. Puis petit à petit, l’ordre est perturbé, d’autres histoires apparaissent, certaines disparaissent (sans forcément avoir une vraie fin), ou fusionnent. Les amateurs de livres puzzles en seront finalement pour leurs frais.
La difficulté n’est pas dans l’enchaînement des strates narratives. En fait, il n’y a pas de difficulté. De lecture s’entend. Tout coule, comme un brouhaha de voix de fantômes qui viendraient perturber notre sommeil (cela peut d’ailleurs faire penser à Pedro Páramo et quoi qu’en dise la préface inutilement complexe d’Emilie Colombanie, Bellatin est bel et bien un “écrivain mexicain”). Des bribes de discours, parfois à la limite du haïku. Une musique se forme qui finit par charmer. Pas de difficulté de lecture donc, mais quid de l’interprétation ?
D’une certaine façon, c’est un livre sur le handicap. Et sur la possibilité de l’art malgré celui-ci. Reprenons. Nous avons, en vrac, un poète aveugle (depuis Homère jusqu’à Borges on est habitué, c’est presque normal), un écrivain auquel il manque un bras, un photographe (lui aussi) aveugle (et narcotrafiquant), des nourrissons sans membres qui ne font rien mais qui sont recueillis par une apprentie poétesse elle-même soeur d’un traducteur, etc… On peut même pousser la remarque plus loin et trouver des muets avec ces indiens qui ne peuvent parler leur langue maternelle dans un pays (le Pérou en l’occurrence) qui ne reconnaît que le castillan. Et nous ne parlons même pas des noms propres, tous amputés de leur majuscule. Tout ceci commence à être un peu suspect.
Alors on cherche un peu qui peut bien être ce Mario Bellatin. Et on apprend que, certes, il vient du Mexique, mais qu’il est de parents péruviens. Ce qui explique les passages sur les Quéchuas et le grand père qui raconte tout ça. On apprend aussi qu’il a une main artificielle. Ce qui explique les divagations de l’écrivain manchot. Tout ceci aurait donc un aspect plus ou moins autobiographique. Curieusement, cela n’ajoute rien au livre. C’est sûrement intéressant à savoir si l’on veut appréhender l’oeuvre de Bellatin dans son ensemble, mais là, c’est même un peu décevant.
Car ce qui séduit dans le livre, outre sa structure et son style, c’est l’ambiance à la limite du (voire franchement) fantastique, ces situations étranges, son orphelinat aux enfants difformes que se disputent les femmes d’un obscur village de pécheurs, son golem mangeur de chiens, ses morts qui reviennent sous la forme de lièvres, son interminable liste de médicaments pour écrivains hypocondriaques.
Ces histoires seraient en fait des souvenirs d’enfance ou une évocation du quotidien de l’auteur ? L’édifice construit par le livre perd de son ampleur. En définitive, toutes ces choses ne sont pas si difficiles à expliquer.
matthias jullien
Mario Bellatin, Leçons pour un lièvre mort , traduit de l’espagnol (Mexique) par André Gabastou, coll. “Traductions Contemporaines”, Passage Du Nord-Ouest, mai 2008, 109 p. — 12,00 € |
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