Greg Hrbek, D’un feu sans flammes

Human bomb

Etrange et inquié­tant, mais très effi­cace, le roman de Greg Hrbek sai­sit le lec­teur dès les pre­mières pages …et ne le lâche guère. Au gré de cette uchro­nie noire, nous sommes plu­sieurs années après le ter­rible atten­tat du 11-Août à San Fran­cisco, fomenté par des inté­gristes musul­mans. La société amé­ri­caine vit tou­jours dans le trau­ma­tisme post-agression et consi­dère d’un mau­vais oeil le monde musul­man. Depuis ces tristes évé­ne­ments ayant ébranlé la nation, une guerre sans merci a été menée dans le golfe Per­sique, et des mil­liers d’Américains de confes­sion musul­mane ont été confi­nés dans les anciennes réserves indiennes.
Plus qu’une autre, la jeune géné­ra­tion a été ber­cée par le conflit et la sus­pi­cion géné­ra­li­sée. C’est le cas notam­ment de Dorian, l’un des pro­ta­go­nistes du roman qui, a bien­tôt douze ans, tout en fan­tas­mant la mys­té­rieuse exis­tence d’une soeur qui aurait dis­paru lors de l’attentat (même si ses parents sou­tiennent le contraire), rêve de mas­sacres contre l’Ennemi dans sa ban­lieue de New York, allant jusqu’à cou­vrir d’insultes les murs de la mos­quée locale. C’est à ce moment que son voi­sin, William Ban­fel­der, un vété­ran de l’armée, recueille Karim, un orphe­lin musul­man tout droit arrivé de l’un des nom­breux camps de réfu­giés valant comme réser­voir à terroristes..

Greg Hrbek tisse impla­ca­ble­ment les redou­tables consé­quences de ce geste de bien­veillance pour cette petite com­mu­nauté U.S, consti­tuée d’ ado­les­cents et de leurs parents. Oscil­lant sans cesse entre rêve et cau­che­mar, cette Amé­rique paral­lèle fait froid dans le dos, tant elle met en exergue, plus près de nous, des thé­ma­tiques qui nous sont mal­heu­reu­se­ment deve­nues contem­po­raines : racisme, exclu­sion, haine d’autrui, cri­tique des flux migra­toires, dan­ger de l’intégration et exa­cer­ba­tion du pan-nationalisme.
D’un feu sans flammes a le mérite d’attiser l’attention et la ten­sion en variant la pos­ture du nar­ra­teur de réfé­rence, qui n’est jamais enfermé dans telle ou telle figure idio­syn­cra­sique au risque de l’étroitesse d’esprit et de point de vue, mais consti­tué in fine par la som­ma­tion de tous les pro­ta­go­nistes du récit – la palme étant rem­por­tée par celui des­tiné à deve­nir une bombe humaine à même de châ­tier les Infi­dèles mais qui a encore la pos­si­bi­lité d’infléchir cette sombre fata­lité orches­trée par “les semi-habiles” et, par­tant, de redon­ner un sens à une liberté onto­lo­gique à la fois plus altruiste et plus essentielle.

Par les temps qui courent (ou plu­tôt qui stag­nent), cette décons­truc­tion métho­dique et maî­tri­sée – quoique roman­cée à l’aune d’une once d’anticipation pour ne pas trop mettre les pieds dans le plat on l’aura com­pris — de la créa­tion de toutes pièces du mar­tyr inté­griste “idéal”, sans loi mais avec beau­coup de foi, prend une réso­nance qui n’échappera à per­sonne.
Et qui en éclai­rera de nom­breux sur la logique du condi­tion­ne­ment et du mépris réci­proque ayant conduit nos civi­li­sa­tions au marasme ter­ro­riste qu’elles affrontent plus ou moins confu­sé­ment depuis un cer­tain 11-Septembre.

fre­de­ric grolleau

Greg Hrbek, D’un feu sans flammes, tra­duit par Ben­ja­min Fau, Phé­bus, avril 2017, 336 p., 23,00 €.

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