Approche du proche : entretien avec la photographe Clémence Losfeld

Les pho­to­gra­phies de Clé­mence Los­feld sont char­gées de la pré­sence des êtres et de leur soli­tude. Une femme par exemple devient une sil­houette errante, immo­bile. Son ano­ny­mat et son déca­drage créent un « pay­sage » inté­rieur et réin­carnent dans le pré­sent un voyage au cœur des dédales du réel. La créa­trice ne cherche pas à jouer les repor­ters « enga­gés » mais crée un rap­port très immé­diat et affec­tif aux êtres humains. Sur­git une volonté poé­tique d’enrichir et de dépas­ser le temps afin de mieux per­mettre de res­sen­tir l’éclatement des pos­sibles là où tout semble fermé. D’où la ten­sion entre une prise en compte du fini de la condi­tion humaine et d’un infini sin­gu­lier inhé­rent à chaque être. Le moment est fixé dans un temps sans temps, un temps à l’état pur. Clé­mence Los­feld met de la dis­tance en ce qu’elle choi­sit de mon­trer —  preuve que témoi­gner ne suf­fit pas : chaque « corps » doit être recons­truit selon une proxi­mité poétique.

 Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Mis à part mes trois ou quatre réveils ? La déter­mi­na­tion de réa­li­ser tout ce que j’ai à faire dans la jour­née pour ensuite avoir l’esprit plus léger.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Je ne par­le­rais pas de « rêves » mais plu­tôt de puis­santes aspi­ra­tions qui res­tent là, tapies dans un coin de ma tête.

A quoi avez-vous renoncé ?
J’ai renoncé à cer­taines aspi­ra­tions jus­te­ment, pour me consa­crer plei­ne­ment au métier de pho­to­graphe. De ce fait, comme la plu­part des pro­fes­sions artis­tiques, il faut vivre avec une sta­bi­lité finan­cière très ban­cale. Donc renon­cer à un cer­tain confort.

D’où venez-vous ?
Je suis née à Paris, j’ai vécu la moi­tié de mon enfance et ado­les­cence à Vitry sur Seine dans le 94, puis l’autre moi­tié dans l’Oise à Chantilly.

Qu’avez-vous reçu en « héri­tage » ?
Ma mère et mon père éga­le­ment artistes m’ont trans­mis une part de folie et de créa­ti­vité néces­saire à la tra­ver­sée de l’existence. Inven­ter, créer de toutes les manières pos­sibles sont de mer­veilleux remèdes contre l’ennui.

Qu’avez vous dû “pla­quer” pour votre tra­vail ?
Je n’ai rien eu à « pla­quer » réel­le­ment. J’ai dû faire des choix et par consé­quent sacri­fier cer­taines choses. Et quelques hasards mal­heu­reux m’ont par­fois blo­quée dans l’avancée de mes pro­jets artis­tiques. Telles sont les vicis­si­tudes de la vie.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Mon verre de jus d’orange frais au saut du lit.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres artistes pho­to­graphes ?
Abso­lu­ment tout, je suis la meilleure, il n’y a rien à dire de plus. Non je plai­sante bien sûr. Comme toute per­sonne est unique, chaque artiste l’est tout autant. Pour ma part, j’essaie de res­ter fidèle à mes valeurs artistiques.

Com­ment définiriez-vous votre approche du por­trait ?
Mon « approche » est jus­te­ment « proche ». La proxi­mité psy­cho­lo­gique mais sur­tout phy­sique demeure pri­mor­diale dans ma rela­tion ins­tinc­tive à autrui.
Je tente de rendre visible quelque chose d’imperceptible, d’inattendu chez le sujet photographié.

Quelle fut l’image pre­mière qui esthé­ti­que­ment vous inter­pella ?
Une pho­to­gra­phie d’Ernesto Bazan.

Et votre pre­mière lec­ture ?
« L’étranger » de Camus.

Quelles musiques écoutez-vous ?
Je suis très mélo­mane, j’écoute de tout, du rap au rock en pas­sant par le reg­gae et la musique Tzi­gane par exemple. La musique m’inspire énor­mé­ment et m’accompagne au quotidien.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
Des recueils de poé­sie d’Henri Michaux

Quel film vous fait pleu­rer ?
J’ai beau­coup de mal à pleu­rer devant les films alors qu’au contraire cer­tains docu­men­taires ont pu réel­le­ment m’émouvoir car ils ne sont pas fic­tion mais réalité.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Une per­sonne qui est capable de faire mieux si elle avait un peu plus confiance en elle.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Per­sonne. Il est selon moi plus facile d’écrire quand on n’ose pas se retrou­ver face à face avec quelqu’un.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Zanzibar

Quels sont les auteurs/artistes dont vous vous sen­tez proche ?
Anto­nin Artaud, Samuel Beckett, Henri Michaux, Albert Camus, Ionesco, André Bre­ton, Jacques Pré­vert pour les écri­vains, poètes et Raoul Haus­mann, Mark Cohen, Eugene Richards, Mary Ellen Mark pour les artistes et pho­to­graphes. C’est bien sûr une liste non exhaustive.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
La pos­si­bi­lité de faire un tour du monde (en plus de 80 jours.)

Que défendez-vous ?
L’acte de créa­tion et sa liberté inhé­rente. Il ne faut pas avoir peur de s’exprimer de n’importe quelle manière que ce soit mais tou­jours dans le res­pect d’autrui.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Je pense qu’aimer c’est don­ner quelque chose qui va au-delà de soi-même, donc d’une cer­taine manière don­ner quelque chose qu’on ne pos­sède pas, car ce sen­ti­ment n’est pas maté­ria­li­sable. Je ne crois pas à l’amour où deux êtres devraient ne faire qu’un ou l’idée que l’être aimé va nous aider à nous révé­ler. Je pense qu’une rela­tion amou­reuse devrait s’apparenter à un com­pa­gnon­nage, où cha­cun s’escorte à sa manière dans un res­pect mutuel.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
En effet, nous vivons dans une époque trop rapide, où l’on veut aller trop vite, où l’on exige les réponses avant même que les ques­tions soient posées, où l’on ne prend pas tou­jours le temps d’élaborer des réponses sen­sées et sub­tiles. Mais peut-être que W.Allen signi­fie aussi ici que l’on répond sou­vent oui avant même d’écouter la ques­tion. Tan­dis que beau­coup de « oui » dit à la va-vite sont en fait des néga­tions dégui­sées. Il faut selon moi oser dire non et prendre son temps.

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Non.

Pré­sen­ta­tion et entre­tien réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 10 juin 2017.

1 Comment

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One Response to Approche du proche : entretien avec la photographe Clémence Losfeld

  1. Simon Tripnaux

    Non seule­ment nous vivons une époque trop rapide, mais qui cherche l’overdose de tout. C’est aber­rant de comp­ter le nombre de gens qui n’ont le temps de rien, alors qu’ils ne font pas grand chose de concret.

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