Roland Sénéca, Ontologie du jouir

Dé-figurations

Sénéca navigue sans cesse entre le corps dolent et le corps jouis­sant. Le titre de son titre indique faci­le­ment de quel côté il bas­cule. L’auteur y cumule les man­dales contre une vision psy­cho­lo­gi­sante de la chair. Les mots servent de trem­plin aux images et l’inverse est vrai aussi. C’est la manière de relier ces deux ver­sants qui cherchent à bali­ser le même ter­ri­toire pour le déga­ger. Loin de la confu­sion, cette  Onto­lo­gie  est la visi­ta­tion des forces tel­lu­riques, leur ten­sion pour que la vie rede­vienne « matière » entre com­pres­sion et détente.
Le corps n’est donc en rien infi­ni­tif. Il devient mythe — plus archéo­lo­gique qu’historique. Sénéca l’ausculte avec autant de rigueur que de tâton­ne­ment. Enroulé sur son grouille­ment, il en lève l’obstruction en rame­nant à l’expérience pre­mière de la jouis­sance que l’enfant découvre presque par hasard.

Dès lors les jeux sont fait : l’enfant « n’aura de cesse de com­prendre cet éblouis­se­ment à nul autre pareil, comme un idiot qui essaie­rait de rejoindre la ligne d’horizon ». Ce qui tou­te­fois ne revient pas à enfer­mer l’être sur une néga­tion (même si par défi­ni­tion cette ligne est intou­chable) mais à trou­ver une ouver­ture par aspi­ra­tion. Sénéca pro­pose donc une pous­sée de l’éros au cœur du pos­sible. Textes et images ne se sont pas plus des stèles mais des états : la nuit y habite la lumière. Seule cette der­nière fabrique des images que le texte longe en son défi­le­ment.
Si bien qu’ici les images font ce que les mots ne font pas, et ces der­niers ce que les pre­miers ne peuvent accom­plir. Cela per­met à Sénéca de rejoindre ce qui lui est essen­tiel : sous­traire l’homme à une per­cep­tion aussi divine qu’animale. Bref, voici l’homme mais selon une figu­ra­tion qui dépasse un anthro­po­mor­phisme clas­sique et nar­ra­tif. L’œuvre se rap­proche des “dis­sol­ving views” de la pré­his­toire du cinéma afin de déta­cher l’intellect d’une pré­hen­sion logo­ma­chique et se rap­pro­cher de ce que Beckett deman­dait à la lit­té­ra­ture et à l’art : « don­ner moins à voir qu’à entre­voir ».

Sénéca ne fait que pous­ser tou­jours plus loin le risque au centre de l’Imaginaire. Il consi­dère tout signe comme un voile qu’il faut déchi­rer afin d’atteindre ce qui se trouve au-delà. Et c’est parce qu’il n’existe pas de rai­son valable à ce déchi­re­ment que Sénéca cherche à le mettre en abs­cisse et ordon­née, à per­cer la petite mort qui est l’inverse par­faite de la grande à laquelle elle fait rendre gorge.
Vidant l’image la repré­sen­ta­tion déco­ra­tive de la chair, l’artiste en pré­sente l’appel assour­dis­sant par la mise évi­dence de la seule image, vieille, naïve aussi sourde que criante et qui ne fait que ren­voyer au dénue­ment et à l’affolement dont elle sort, comme le cri absurde la dou­leur et de la joie.

jean-paul gavard-perret

Roland Sénéca,  Onto­lo­gie du jouir,  Illus­tra­tions ori­gi­nales de l’auteur, Fata Mor­gana, Font­froide le haut, 2017, 80 p.

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