Wu Ming, Manituana

Un récit pal­pi­tant, un voyage des deux côtés de l’Atlantique

Le col­lec­tif ita­lien est de retour pour leur 4e opus et on ne va pas s’en plaindre ! Après nous avoir trans­porté au XVIe siècle en pleine guerre de reli­gion (L’œil de Carafa) ou au cœur du Har­lem des années 60 (New Thing), cette fois, direc­tion l’Amérique et ses tri­bus indiennes, à l’aube de la décla­ra­tion d’indépendance. Loin de tom­ber dans le tra­di­tion­nel mani­chéisme oppo­sant les gen­tils Yan­kees aux méchants Indiens, le quin­tet lit­té­raire pro­pose au contraire une vision toute autre, bien plus com­plexe et ambigüe.

En 1775, dans la val­lée du fleuve Mohawk s’étend Iro­quir­lande, un monde métissé dans lequel six tri­bus iro­quoises coha­bitent paci­fi­que­ment avec l’occupant bri­tan­nique, sous la pro­tec­tion bien­veillante de Sir William John­son, délé­gué de la cou­ronne aux Affaires indiennes. Au fil du temps, des liens de sang se sont même créés entre les deux peuples. Mais à la veille du 4 juillet 1776 et de la nais­sance des États-Unis d’Amérique, il va fal­loir choi­sir son camp !
Un choix qui peut s’avérer cor­né­lien pour cer­tains, tiraillés entre deux cultures, et qui en mènera d’autres jusque Londres pour plai­der leur cause auprès du roi George.

 

Deux mondes, deux cultures… deux noms ! C’est en effet l’une des par­ti­cu­la­ri­tés de l’ouvrage. Celui d’appeler tour à tour les per­son­nages soit par leur nom indien, soit par leur nom anglais ! Un pro­cédé pour le moins ori­gi­nal, voire dérou­tant, mais qui a le mérite d’accentuer la com­plexité des héros et de mettre l’accent sur un point rare­ment abordé et trop sou­vent négligé : la situa­tion et le deve­nir des peu­plades indiennes pen­dant et après la guerre d’indépendance. Géné­ra­le­ment affi­chés comme des tri­bus enne­mies dans l’imaginaire col­lec­tif et dans les repré­sen­ta­tions artis­tiques (cinéma, lit­té­ra­ture…), leur his­toire reste mécon­nue et fré­quem­ment erro­née. Il n’en est rien !
Pre­miers peuples des Amé­riques, ils ont pris part acti­ve­ment au conflit anglo-américain, soit auprès des Bri­tan­niques, soit auprès des Fran­çais, et ont payé cher le prix de leur enga­ge­ment… jusqu’à subir une véri­table extermination.

 

Sans aller aussi loin et en rema­niant (mal­heu­reu­se­ment) les faits his­to­riques à sa guise, Wu Ming met à mal le mythe du Nou­veau monde, bâti sur des idées de liberté et d’égalité. En contour­nant le fond, ces jeunes auteurs ita­liens mettent toute leur éner­gie et leur talent sur la forme. Un récit pal­pi­tant, un voyage des deux côtés de l’Atlantique, une force dra­ma­tique indé­niable, une aura roma­nesque dont ils ont le secret… Mani­tuana réunit toutes les ficelles d’un roman réussi.

 

Néan­moins, si l’intention est bonne, le résul­tat est par­fois sur­pre­nant, sans aller jusqu’à dire déce­vant. Le quin­tet serait-il en train de s’essouffler ? Certes non, mais bizar­re­ment, on res­sent plus lors de la lec­ture la mul­ti­tude de plumes qui se sont pen­chées sur l’ouvrage. S’en suivent alors des cha­pitres dont on se demande bien ce qu’ils apportent à la trame et pour le moins décon­cer­tants. Heu­reu­se­ment, on ne perd jamais le fil de l’histoire bien que les chan­ge­ments inces­sants de nomi­na­tion des per­son­nages le rendent quel­que­fois dif­fi­cile à suivre.

 

La faute à un léger manque de “fina­lité”. En effet, si la cause indienne est ici enten­due, on n’en demeure pas moins régu­liè­re­ment dans l’attente d’un “quelque chose d’autre”. Le roman manque de consis­tance. Si cer­tains pro­cé­dés uti­li­sés dans les romans pré­cé­dents sem­blaient per­ti­nents, ils appa­raissent ici comme “en trop”. L’œil de Carafa nous met­tait sur la piste d’un impos­teur à la solde du Vati­can, New Thing sur celle d’un mys­té­rieux assas­sin de jazz­men…
Ici, il n’en est rien et on attend tou­jours de savoir quelle quête déses­pé­rée peut bien pour­suivre le grand chef de guerre Joseph Brant Thayen­da­nega. Et pour­tant, on conti­nue de le suivre, lui et ses com­parses, des contrées amé­ri­caines aux palais lon­do­niens. Un ouvrage peut-être un peu moins hale­tant que les pré­cé­dents mais qui n’en reste pas moins savou­reux mal­gré tout !

v. cher­rier

 

   
 

Wu Ming, Mani­tuana, tra­duit de l’italien par Serge Qua­drup­pani, Edi­tions Métai­lié, août 2009, 512 p.- 24,00 €

 
     

 

 

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