Willa Cather, Lucy Gayheart

Le plai­sir de retrou­ver l’univers de Willa Cather

En 1901, Lucy Gay­heart a dix-huit ans. Elle vit dans une petite ville du Nebraska, Haver­ford, où tout le monde l’aime pour “sa gaieté et sa grâce”, son enthou­siasme, son natu­rel et sa fraî­cheur. Pas­sion­née de piano (son père, l’horloger, est chef de l’harmonie muni­ci­pale et lui a trans­mis son amour de la musique), elle part l’étudier à Chi­cago.
Sous l’égide du Pro­fes­seur Auer­bach, elle est remar­quée par le célèbre chan­teur lyrique, Cle­ment Sebas­tian, qui l’engage comme accom­pa­gna­trice. Lucy vit modes­te­ment dans une petite chambre sans confort, mais sa soli­tude et ses maigres res­sources lui conviennent par­fai­te­ment. Belle, talen­tueuse, inno­cente, elle ne recherche pas la com­pa­gnie des autres, aime arpen­ter les rues dans le froid. Rien ni per­sonne ne lui a jamais brisé le cœur. Très vite, sub­mer­gée par la force de ses sen­ti­ments, elle se laisse empor­ter par sa pas­sion pour Sebas­tian : “Lucy le sen­tit s’emparer de tout ce qu’elle avait dans le cœur ; elle n’avait plus rien à lui refu­ser.” (p.89).

Sorte de sang­sue cher­chant à tirer de sa jeune pia­niste un peu de sa viva­cité, Sebas­tian, le vieux ténor sans illu­sions, proche de la mort — il la côtoie de diverses façons et à plu­sieurs reprises dans le livre -, remarque qu’elle est pour lui “quelque chose de bon.” Mais le bon­heur n’a qu’un temps et l’éducation sen­ti­men­tale et artis­tique de Lucy pas­sera aussi par quelque chose de mau­vais.
La jeune fille est bien­tôt confron­tée à des pro­blèmes d’adulte qu’elle ne sait com­ment gérer : entre une pro­po­si­tion inac­cep­table et un drame insur­mon­table, son des­tin est cham­boulé, comme le sera celui de ses proches, du vil­lage tout entier.
Avant-dernier roman de Willa Cather, Lucy Gay­heart est aussi l’un des plus sombres.

 

Des vastes plaines ennei­gées du Nord à Chi­cago, la métro­pole char­gée de pro­messes mais aussi de périls, de la vie pro­vin­ciale au monde de l’art et de la grande musique, ce livre prend la forme d’un récit ini­tia­tique : à l’exaltation de la conquête de la liberté, de l’autonomie, de la décou­verte de l’amour, suc­cède, cruel­le­ment, bru­ta­le­ment, la perte de l’innocence. La musique, évi­dem­ment, est omni­pré­sente. C’est au contact du maes­tro Sebas­tian, de la voix et de l’homme, que l’art et l’existence vont se faire pour Lucy plus concrets et plus exi­geants. Si celle dont on s’accorde à pen­ser que “son état nor­mal était l’enthousiasme, envers n’importe quoi, ne fût-ce que le temps qu’il fai­sait” (p.170) porte bien son nom dans la pre­mière moi­tié du roman, Miss Gay­heart (“cœur gai” en fran­çais) va bien­tôt perdre toute sa joie de vivre et ses illu­sions, voir “son cœur geler d’un coup.“
Lorsqu’on sort de l’enfance, chez Willa Cather, on quitte aussi son vil­lage natal et la douce inno­cence dans laquelle on était enve­lop­pée. “Qu’était-ce, après tout, que la ville d’où on était, à part l’endroit où l’on avait connu ses décep­tions et appris à vivre avec ?” (p. 233)

 

Un livre parmi les plus remar­quables de Willa Cather : pour­tant maî­tresse en la matière, elle avait rare­ment aussi bien réussi le mélange entre grâce tra­gique et beauté, tout en fai­sant de la Nature un per­son­nage à part entière.

agathe de lastyns

 

   
 

Willa Cather, Lucy Gay­heart, tra­duit de l’anglais (Etats-Unis) par Marc Ché­ne­tier, Rivages, février 2010, 233 p. — 20,00 €

 
     

 

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