Mario Vargas Llosa reste un maître de la fiction hybride. Son roman remonte à la fin du siècle dernier au moment où Fujimori (qui battit l’auteur aux élections présidentielles péruviennes) transforme la démocratie en dictature. Ce côté toile de fond réaliste donne une image savoureusement terrible de la politique. Mais sa comédie se double d’une revue de mœurs. Le scandale n’est plus seulement politique : il est financier, sexuel et médiatique.
Y est compromis un respectable ingénieur. Là encore le contexte est parfait. Mais l’histoire en elle-même beaucoup moins. Le personnage de la journaliste intègre reste un cliché qui ne fait pas le poids (narrativement parlant) face aux héros de la finance, du show-business, du pouvoir avec en tête du peloton le directeur d’un magazine people et le néo-Raspoutine chef de la police politique de Fujimori. L’auteur mêle aussi à son histoire tout un arsenal érotique et une intrigue à double fond qui se veut la clé du roman mais dont l’intérêt est secondaire.
Ces deux derniers ingrédients situent les limites de la nouvelle fiction de Llosa à décrire le monde péruvien. Partant de l’idée que « Le monde est tout ce qui a lieu » chère à Wittgenstein, l’auteur a cru bon de doubler la réalité par les « outrepassements » superfétatoires de scènes de genre. Elle n’en avait pas besoin. Certes, la maîtrise demeure. Mais au moment où toute une connaissance s’inscrit sur la matrice du réel, ce que l’auteur ajoute limite la portée de la fiction. D’autant que le récit trop bien ficelé — et paradoxalement — n’est pas capable de faire le joint conséquent entre le réel et l’imaginaire.
Cherchant — implicitement — à transformer sa fiction en aventure engagée, cette imbrication casse la ligne générale du livre. On peut bien mettre cela sur le compte de l’aspect baroque de la littérature sud-américaine. Cela peut-il servir néanmoins de justification ou d’excuse ?
jean-paul gavard-perret
Mario Vargas Llosa, Aux Cinq Rues, Lima, trad. de l’espagnol (Pérou) par Albert Bensoussan, Daniel Lefort, Gallimard, collection Du monde entier, 2017.