Adrien Goetz, Villa Kérylos

La genèse et la construc­tion d’une œuvre d’art 

Adrien Goetz retient comme décor de son nou­veau roman la Villa Kéry­los, l’une des plus célèbres et les plus belles construc­tions entre Nice et Monaco.
Un homme, pos­sé­dant les clés, revient à Kéry­los, pour la der­nière fois. Il est temps qu’il reprenne son bien. Ce qui l’a décidé, c’est l’arrivée, à son adresse de Nice, d’une carte pos­tale ano­nyme pré­sen­tant une mosaïque de la salle de réception.

En 1902, Achille, le fils de la cui­si­nière de la famille Eif­fel, qui occupe une demeure proche du ter­rain acquis par Théo­dore Rei­nach, est embau­ché pour envoyer régu­liè­re­ment des cro­quis illus­trant l’avancement des tra­vaux de la construc­tion. Peu à peu, il s’installe dans la villa, en connait tous les coins et recoins. Théo­dore et sa famille l’adoptent et Achille va décou­vrir la beauté, les livres, les concepts phi­lo­so­phiques et huma­nistes et vivre le grand amour de sa vie. Pen­dant six ans, il vit au cœur de la construc­tion, des tra­vaux, au milieu des ouvriers, archi­tectes… Pièce après pièce, il redé­couvre son passé. Une porte s’ouvre sur une pièce, sur une autre, sur Alexandre le Grand, sur son ami­tié avec Adolphe, le neveu de Théo­dore, qui avait le même âge, sur la Grande Guerre et ses ravages, sur Ariane son impen­sable, impro­bable et mer­veilleux amour. Mais, que vient cher­cher Achille après tant de temps ? Et pour­quoi maintenant ?

À tra­vers le récit d’un jeune gar­çon d’origine modeste, l’auteur fait décou­vrir cette remar­quable habi­ta­tion, le cadre et le contexte dans les­quels elle a été conçue, construite, et uti­li­sée. Il fait revivre les débuts du XXe siècle jusqu’à la fin de la Grande Guerre où, ne sup­por­tant plus cet amour absurde de l’Antiquité grecque, Achille fuit la villa, la famille et devient peintre cubiste. Joseph, Salo­mon et Théo­dore Rei­nach étaient de grands bour­geois richis­simes, des hel­lé­nistes éru­dits et des mili­tants huma­nistes. Si leur nom a été mêlé au scan­dale de Panama, cette infor­ma­tion reste confi­den­tielle. Ils font par­tie d’une époque dis­pa­rue où les gens très riches pou­vaient être très savants. Et ces trois frères l’étaient. Leurs pré­noms for­maient le sigle JST : Je sais tout !
Adrien Goetz, comme roman­cier et his­to­rien, fait vivre l’évolution du chan­tier, les réflexions, les com­men­taires des autoch­tones qui voient cette construc­tion pour le moins étrange, qui découvrent une famille qui leur paraît excen­trique. Il donne les moyens dont dis­po­saient les com­men­ta­teurs, leurs sources plus ou moins cré­dibles d’informations, les ragots et autres formes de col­por­tage de nou­velles. Les por­traits sont d’une grande cré­di­bi­lité, fai­sant res­sen­tir, res­sor­tir les sen­ti­ments, les émo­tions de ces bour­geois impré­gnés de cette culture hel­lé­nique, de cette pas­sion du beau et de l’humanisme.

Chaque point est expli­cité comme le choix du nom kéry­los qui signi­fie alcyon. Les alcyons volent sur les vagues, ce sont les oiseaux de la tris­tesse, mais le terme désigne aussi les martins-pêcheurs, des bes­tioles plu­tôt drôles… . Goetz met aussi en avant la volonté de ne pas imi­ter mais de : « …créer, com­po­ser, en grec ancien, un texte abso­lu­ment nou­veau. Pas un faux palais antique, une mai­son pour lui, pour Fanny et pour les enfants. ». L’auteur évoque la Grèce, les poètes, le mont Athos, l’affaire Drey­fus, les sac­cages et pillages nazis, l’amour de son héros pour Ariane, un amour hors de temps et de l’espace… Il invite  Gus­tave Eif­fel, qui est sans doute, bien que rien n’étaye cette hypo­thèse, la per­sonne qui indique à Théo­dore ce ter­rain dis­po­nible sur la Pointe des four­mis, celui-ci cher­chant à édi­fier une rési­dence d’hiver. Au début du XXe siècle, c’est à cette sai­son que les “people” de l’époque venaient sur la Côte d’Azur.
Avec Kéry­los, Adrien Goetz signe une superbe plon­gée, un mer­veilleux voyage dans une his­toire récente mais qui parait si lointaine.

serge per­raud

Adrien Goetz, Villa Kéry­los, Gras­set, avril 2017, 352 p. – 20,00 €.

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