Une « Bounty » pas naufragée : entretien avec la photographe Soline Roux

Fidèle à ses racines, Soline Roux aime jouer avec ses propres masques. Pour ses auto­por­traits, elle pro­pose divers degrés de confi­dences et par­fois du jeu pour le jeu et où la femme est reine d’un jour et de tou­jours. Les étoffes sont char­gées d’endroits nus. Et qu’importe si l’homme est le pécheur devant l’Eternel : la forme la plus visible à ses yeux reste ce qui cause sa perte. Et la pho­to­graphe en est consciente. His­toire de jouer un peu les Auré­lia de Ner­val. Se met­tant au ser­vice de sa mytho­lo­gie, Soline Roux ne se prend pas pour autant au sérieux. Mais vou­lant faire «juste une image, n’est-ce pas là le plus sûr moyen de créer « une image juste » ? Godard le rap­pelle sou­vent. Du moins lorsqu’il parle encore.

(Voir pour une pre­mière approche le Face­Book de l’artiste)

 Entretien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Les deux grands yeux bleus et le sou­rire de mon fils puis le soleil, la lumière. L’envie de vivre et de créer, toujours.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?

Ils per­durent ! J’en ai encore de nom­breux à réa­li­ser (rires)

A quoi avez-vous renoncé ?
J’ai renoncé à retour­ner faire ma vie en Afrique. J’entends ma vie d’adulte, de femme aujourd’hui. L’Afrique est ma terre natale, ma mai­son. Mais je ne renonce jamais vrai­ment vous savez !

D’où venez-vous ?
Je viens de vous répondre. Je viens d’Afrique. Je suis née au Came­roun, à Yaoundé exac­te­ment. Puis nous avons habité plu­sieurs pays sur le conti­nent afri­cain. Je suis reve­nue en France pour mes études. A Paris. Quel choc !
Un jour un ami ivoi­rien m’a dit « Toi tu es l’inverse d’un Bounty » ! C’est-à-dire blanche à l’extérieur et noire à l’intérieur. J’ai adoré, je ne l’oublierai jamais. Seul un afri­cain pou­vait le per­ce­voir et le dire !

Qu’avez-vous reçu en « héri­tage » ?
L’Amour. L’amour de la vie dans toutes ses formes et sa diver­sité. Au tra­vers de l’éducation que j’ai reçue, du tra­vail de mon père, d’une mère sen­sible, d’un grand frère atten­tionné, des mil­liers de ren­contres et de nom­breux voyages dans le monde.
Mes yeux tou­jours grands ouverts, un coeur qui bat à mille à l’heure et mes six sens en éveil permanent.

Qu’avez-vous dû “pla­quer” pour votre tra­vail ?
Cer­tains de mes pro­jets peut-être, des voyages trop coû­teux et l’envie de retour­ner vivre à l’étranger.
Et, d’un côté, mon tra­vail est mon choix per­son­nel et une réelle pas­sion alors je n’ai pas le sen­ti­ment de m’être pri­vée de quelque chose pour le réa­li­ser, bien au contraire.
Je vou­lais avoir trois enfants mais je me dis que ça va être un peu com­pli­qué. La photo me prend déjà beau­coup de temps et d’énergie.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Oui plu­sieurs ! Cela dépend des jours et des sai­sons. J’aime sur­tout entendre la nature. Le chant des oiseaux, le vent dans les arbres, le coas­se­ment des grenouilles…etc… j’ai besoin d’entendre la nature, la vie. D’y prê­ter une oreille par­ti­cu­lière, tous les jours un peu, pen­dant quelques minutes et hop je me remets à mes activités.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres artistes ?
C’est à mon public de le dire je pense…

Com­ment définiriez-vous votre vision de l’autoportrait ?
L’autoportrait est pour moi une façon d’exprimer des choses de ma vie et de la vie en géné­ral. C’est une forme de cita­tion, de poé­sie, de nou­velle ou de roman en images. Cela dépend de ce que j’ai voulu expri­mer à l’instant T.
Dans mes auto­por­traits cha­cun, je pense, pourra s’y recon­naître, se l’approprier. Je l’espère du moins. Je me sens comme une sorte de page blanche sur lequel j’écris, j’exprime, je dénonce des faits de la vie, de notre époque, une émo­tion… Et c’est pour moi, plus per­son­nel­le­ment, une forme d’art– thé­ra­pie. Là où je n’ai pas eu de réponses je trouve l’issue par ce biais là, en me fai­sant face à moi-même.

Quelle fut l’image pre­mière qui esthé­ti­que­ment vous inter­pella ?
Je ne sais pas
il y en a eu tel­le­ment
la terre rouge d’Afrique
du Came­roun
là où je suis née
c’est une cou­leur qui me vient direc­te­ment à l’esprit
oui, c’est cette terre rouge

Et votre pre­mière lec­ture ?
La pre­mière ou la pre­mière qui m’a mar­qué ? Entre “Ernest et Céles­tine” de Gabrielle Vincent et “Le Par­fum” de Patrick Sus­kind il y a un écart (rires)

Quelles musiques écoutez-vous ?
Toutes ! Sauf celles qui ne font que du bruit ou du com­merce. J’aime la musique en tous genres, mon père était dans le domaine des centres cultu­rels fran­çais à l’étranger, j’ai bai­gné dans le monde artis­tique et j’ai appris à tout appré­cier. J’ai un petit côté camé­léon, c’est le fait d’avoir été expa­triée et « brin­gue­ba­lée » à droite à gauche, je pense.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
“Le Par­fum” de Patrick Sus­kind et “L’insoutenable légè­reté de l’être” et “L’alchimiste” et “L’herbe rouge” et “Phèdre” et “Cyrano de Ber­ge­rac” et “Soie” et” La psy­cha­na­lyse du feu”…et j’en passe ! (rires)

Quel film vous fait pleu­rer ?
Ouh la, il y en a eu beau­coup ! D’autant que je suis une pas­sion­née de cinéma ! Pour n’en citer que deux qui me viennent tout de suite à l’esprit :  “Blood Dia­mond”, “La ligne verte” et “Dan­cer in the dark”.Je suis tou­jours pro­fon­dé­ment bou­le­ver­sée par l’injustice. Et je la trouve insou­te­nable dans ces  films, pour ne citer qu’eux. Mais il y a aussi “La belle et la bête” de Jean Coc­teau : j’ai pré­féré la bête au beau prince qui la remplace.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Moi ! (rires) plus ou moins gaie ou fati­guée (rires)

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Le réa­li­sa­teur James Came­ron (sur les conseils de mon frère pour un pro­jet photo que j’ai réa­lisé il y a quelques années)

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
De mythe …? Lais­sez moi réflé­chir.. Aucune pour moi, je suis déso­lée… Je suis quand même très liée au concret vous savez ! (rires)

Quels sont les écri­vains et artistes dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Aucun… J’en admire beau­coup mais pas juqu’ à me sen­tir proche d’eux.. Ou s’il y en a cer­tains, alors je n’en ai pas encore pris conscience.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Un bon pour voya­ger dans le monde entier sans aucune contrainte ni limite bud­gé­taire pen­dant trois années ! (rires) ou une séance chez un excellent hyp­no­ti­seur pour arrê­ter (enfin) de fumer ! Si ça marche vrai­ment bien sûr. Non, hum­ble­ment, je veux juste être entou­rée de ceux que j’aime. C’est ce qui me rend la plus heureuse.

Que défendez-vous ?
L’amour, l’égalité, la liberté, la paix, la femme, les enfants, les hommes, les ani­maux, la nature, toutes formes vivantes. A par­tir du moment où c’est vivant et que ça mérite du res­pect ! Je hais l’injustice, la souf­france, la vio­lence, ça me bou­sille hor­ri­ble­ment. Comme le sort des enfants-soldats.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Ah oui c’est éton­nant cette phrase ! Je ne suis pas tout à fait d’accord, au contraire l’Amour pour moi c’est jus­te­ment don­ner natu­rel­le­ment et spon­ta­né­ment ce que l’on a de plus sin­cère, de plus humain et de plus pro­fond en nous et que cela fasse du bien à autrui.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
Je me dis qu’il n’a pas écouté la ques­tion et qu’il n’est pas très atten­tif à son inter­lo­cu­teur ! Mais fina­le­ment il peut être par­donné car je me dis qu’il doit être un homme opti­miste pour répondre OUI ! (rires)

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Il y en aurait encore tel­le­ment à poser ! (rires)

Pré­sen­ta­tion et entre­tien réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 1er juin 2017.

 

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