Moins bouddha blanc sur un lotus qu’épigone pas tout à fait lyonnais, Thierry Rat est un homme réussi sous forme de chouan bourguignon. Il a du plaisir à étaler les fastes des charolaises qu’il plâtre de quelques négligences du destin. Loin d’idéaux à efficacité mécanique, sa connaissance de l’univers avance ici à pas d’unijambiste. Ce qui ne l’empêche pas de rêver de tout casser sur notre crapuleuse planète où il semble un fait acquis que l’être s’embête dans la paix.
Aussi la rendra-t-il toujours plus insupportable que jamais. A sa manière, Thierry Rat rappelle que le tank est né de la brouette, l’avion du vol au vent. Il montre aussi que — pour combattre l’indigence — le jaja est peut-être le meilleur des remèdes.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
L’envie de pisser qui correspond sensiblement au lever du soleil.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Ils sont restés dans l’armoire sous le préau de la communale à jouer à touche pipi.
A quoi avez-vous renoncé ?
A une carrière dans laquelle nous entrerons par derrière, histoire de faire chier nos aînés.
D’où venez-vous ?
De quelque part entre les cornes d’une cagouille et le cul d’une charolaise, entre verts pâturages et pressoir à jaja.
Qu’avez-vous reçu en « héritage » ?
Un boyau rouge avec lequel il faut sans cesse batailler pour en conserver la verdeur.
Qu’avez vous dû “plaquer” pour votre travail ?
Rien qui vaille la peine d’être plaqué sinon une tectonique où dérive l’incontinent, ce qui renvoie à la première question.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Une petite phrase bien tournée qui traverse toute la journée en roulant sa bouse et qui finit concrètement par s’exprimer entre deux verres de pinard.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres écrivains ?
Un intestin délicat qui pousse plus au vent qu’au mortier solide.
Comment définiriez-vous votre vision de l’éros ?
Une bataille de larmes sur un billot de boucher où la rencontre nécessaire de la feuille et du nerf sur cette même table.
Quelle fut l’image première qui esthétiquement vous interpella ?
La victoire de Lascaux sur l’empire Pinault.
Et votre première lecture ?
A chaque fois que j’ouvre un livre.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Massive Attack — Angel que je peux écouter en boucle et dans toutes ses versions et puis d’autres mais la liste serait bien longue.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
Un peu de sérieux. Je crois avoir lu « La pensée dérobée » de Jean-Luc Nancy au moins trois fois.
Quel film vous fait pleurer ?
“La grande bouffe” pour tous ses gaspillages et ses flux perdus.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Un objet qui m’est aussi étranger que possible, sauf une fois par semaine pour la tondeuse à barbe. J’y vois l’hirsute menaçant le pileux.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Aux prix Nobel de peur qu’ils ne sautent.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Une petite chanson dit cela : Quand la mite au logis t’as qu’a la chasser, mets donc d’la naphtaline. Alors se sera Naphtaline.
Quels sont les écrivains et artistes dont vous vous sentez le plus proche ?
Celles et ceux qui joyeusement s’empiffrent mais n’iront pas viander leur carne à quelques fondations nécrophiles.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Tous les ans ça tombe à la même date, ce qui pour le coup m’ennuie.
Que défendez-vous ?
Le chibre arbite.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Alléluia !
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
L’a mauvaise Allen, la réponse est dans la question : un bain de bouche.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Sûrement, mais c’est bien dans le manque qu’il faut composer.
Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 28 mai 2017.
Doux Dur et cynique.. Magnifique Thierry RAT.
Très drôle ce Thierry Rat.