Dans les nuits blanches de Colette Prévost — entretien avec l’artiste et écrivain

Colette Pré­vost tra­verse le cos­mos par les rec­tangles de ses livres et de ses toiles. Elle l’accapare pro­vi­soi­re­ment en ce qu’elle en retient, elle l’assigne sur nos lieux ter­restres entre désir et crainte, plai­sir et angoisse. L’originaire « énigme mère » ouvre à cette clarté qui demeure un mys­tère. Colette Pré­vost l’écrit dans une sang-sualité qui entraîne l’être humain au centre de lui-même mais en même temps le porte vers d’autres sphères. Cette incar­na­tion reste autant char­nelle que mys­tique en ce qui tient d’un rite très par­ti­cu­lier d’où émerge une foule de sen­sa­tions : le cœur pulse en un rythme doux et dolent parfait.

Rap­pel : Colette Pré­vost :  Rouge — sang-dragon, Edi­tions des Van­neaux, Bordeaux.

 Entretien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
La lumière ! Un jour nou­veau à vivre… avec une bonne dose de pos­sibles ! « La nais­sance du jour »…

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
J’ai rêvé peindre et écrire : je l’ai réa­lisé aus­si­tôt que pos­sible… c’est-à-dire très tard !

À quoi avez-vous renoncé ? -
À être par­faite ! Et à bon nombre de certitudes !

D’où venez-vous ?
D’un chaos…

Qu’avez-vous reçu en « héri­tage » ?
Une aqua­relle de mon grand-père m’a pous­sée à peindre, la rigueur de ma grand-mère, l’amour de la terre, la peur et le cou­rage, la sensibilité.

Qu’avez-vous dû “pla­quer” pour votre tra­vail ?
Le som­meil pour des nuits blanches…
Mais l’essentiel, au contraire : j’ai « pla­qué » sur mon lieu de tra­vail Un quart d’heure ailleurs, lec­ture à voix haute d’un quart d’heure pour des col­lègues, pen­dant plu­sieurs années en « occu­pant » n’importe quel bureau libre à l’heure du déjeu­ner, salle de réunions, pas­se­relle, cou­loir… Pre­mière lec­ture, Matin brun de Franck Pavloff.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Prendre mon temps, perdre mon temps… Plai­sir rare !

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres poètes ?
Je ne me pense pas poète. Regar­der, sen­tir, res­sen­tir et écrire, je choi­sis la poé­sie – ce cadre  – comme lieu d’inspiration, de res­pi­ra­tion, de concen­tra­tion, de vibration.

Com­ment définiriez-vous votre vision de « l’image » ?
 « L’image » est d’abord vibra­toire par les contrastes. Ces vibra­tions impriment des émo­tions. L’émotion, une sacrée activité !

Quelle fut l’image pre­mière qui esthé­ti­que­ment vous inter­pella ?
 Les rails de che­mins de fer d’une immense gare de triage.

Et votre pre­mière lec­ture ?
Je me sou­viens du livre « Rémi et Colette » dans lequel j’ai appris à lire. Sur la cou­ver­ture deux enfants lisaient sous un pom­mier. Plus tard, il me semble que c’est la tri­lo­gie de Pagnol « Sou­ve­nirs d’enfance » : La gloire de mon père, Le châ­teau de ma mère, Le temps des secrets.

Quelles musiques écoutez-vous ?
Le vent, les rafales dans les arbres devant mes fenêtres, le chant des oiseaux au petit jour, la pluie. Le silence quand j’écris. La musique baroque pour l’élévation, du jazz, du swing si la joie vient à manquer…

Quel est le livre que vous aimez relire ?
« L’homme atlan­tique » de Duras.

Quel film vous fait pleu­rer ?
« Sur la route de Madison ».

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Un regard étonné d’être vu.

À qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
À personne.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Le désert.

Quels sont les écri­vains et artistes dont vous vous sen­tez le plus proche ?
« Proche » dans le sens réfé­rent : Pes­soa, Whit­man, Camus, Duras, Sar­raute, Phi­lippe Clau­del, Bache­lard, Hop­per, Dürer, Kie­fer, Gaudi, Camille Clau­del, Giacometti…

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
« Le bai­ser » de Camille Claudel !

Que défendez-vous ?
Outre les valeurs de res­pect, de tolé­rance, de liberté… l’amitié, la sin­cé­rité, la fidé­lité, l’attention, l’écoute, l’échange… et la joie d’être une Femme.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
…me rend per­plexe… je pré­fère la courte-échelle !

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
L’humour sauve de tout…

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Celle-ci par exemple : “votre livre est paru aux édi­tions des Van­neaux, est-ce une expé­rience posi­tive ?“
Réponse:
– Oui, une suite très posi­tive et inat­ten­due !
L’éditrice Cécile Odart­chenko, ins­tal­lée à Bor­deaux, tient un lieu très convi­vial, une petite gale­rie d’art, librai­rie de poé­sie, où elle reçoit les lec­teurs, les manus­crits, les pro­me­neurs, les soli­taires. Les tou­ristes aussi. L’ambiance cha­leu­reuse m’a tout de suite beau­coup plu et rap­pelé l’association de pein­ture PLURIEL Créa­tion que j’avais co-fondée en 1993. En octobre der­nier, mon édi­trice avait besoin de plus de temps per­son­nel pour cause d’écriture (elle écrit aussi), écri­ture luxu­riante, épous­tou­flante ! “Le Bil­bo­quet”, “La chair salée”…
J’ai donc rejoint l’association, La Plume et le Crayon, struc­ture qui porte les édi­tions des Van­neaux créées en Picar­die en 2005. Pas­sion­née par la “cui­sine” interne édi­to­riale, je me suis inves­tie à fond, de la cor­rec­tion à la réa­li­sa­tion de maquettes, cou­ver­tures, à tis­ser des rela­tions très proches de l’intime – la poé­sie n’est-elle pas dévoi­le­ment inté­rieur ? – avec les auteurs comme D.C. Barth, Claire Mas­sart, Mat­thieu Gosz­tola… un pur régal !
Cette impli­ca­tion est une belle aven­ture et je retrouve, presque à l’identique dans ce béné­vo­lat pro­posé — faire exis­ter avec rien ! — les aléas et les jubi­la­tions de mon ancien ate­lier. Ici, les pro­blèmes posés par les choix édi­to­riaux, la poé­sie, là la pein­ture… un apos­to­lat ! L’enrichissement per­son­nel n’est pas financier !

Entre­tien et pré­sen­ta­tion par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 28 mai 2017.

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