Ce livre rassemble les textes épars de Jacques Dupin. Certains ont paru en revues, d’autres en tirage limité et enfin (et surtout) sont publiés ses textes derniers. Bref, tous ceux que le poète n’eut pas la volonté ou la possibilité de rassembler comme il le faisait par intervalles réguliers chez Gallimard puis chez POL. Pas de nouveauté quant à la poétique de l’auteur mais des textes importants . Citons une lettre « baptismale » à Char (1948) qui, séduit par l’œuvre et l’homme (ils deviendront amis), préfacera le premier recueil de son benjamin : Cendrier du voyage.
Présentés de manières chronologique, les textes épars permettent de suivre le mouvement de l’œuvre. Aux écrits proprement poétiques sont joints parfois les lettres qui les accompagnent lors de leur édition (avec Ponge par exemple). Les textes les plus récents sont sans doute les plus intéressants car les plus existentiels, à la fois plus ténus mais sourds. Le poète les adressa à Francis Cohen en vue d’un livre intitulé “Discorde ” . Ce titre est repris à juste titre pour cet ensemble tant il caractérise celui qui « s’effaçait pour écrire » et s’appuyait souvent sur des travaux plastiques (Jan Voss par exemple vers la fin de sa vie) pour faire de sa poésie un exercice de lucidité.
Le mot « discorde » illustre donc parfaitement l’œuvre. Dupin y éprouvait le sentiment d’une dérive ou d’une descente progressive vers ce qui n’était pas encore la mort mais qui, sinon lui ressemblait, du moins en avait déjà la « saveur ».Preuve que la poésie, pour Dupin, ne fut jamais une rêverie. Qu’on se rappelle de ses mots : « écrire n’est pas une fin / tout au plus un cadavre à déplacer / loin du bord ».
Pour cet examen légiste, l’auteur « n’applique » pas des mots en tapisserie, il « se jette contre ». Manière de rameuter le bruit que ça fait lorsque la tête heurte les murs. Dès lors, le langage n’est pas un pestiféré mais une manière de combustible.
jean-paul gavard-perret
Jacques Dupin, Discorde, P.O. L éditeur, Paris, 2017.