Marina et Sergueï Diatchenko, La Caverne

On ne lira le livre que pour son atmosphère

Incon­nus en France jusqu’à aujourd’hui, Marina et Ser­gueï Diat­chenko sont des auteurs ukrai­niens rus­so­phones dont les œuvres (près d’une ving­taine) reçoivent en revanche un grand suc­cès en Ukraine et en Rus­sie, voire au-delà. Paru en russe en 1997, La Caverne est leur pre­mier roman tra­duit en fran­çais.
 
Dans un pays dif­fi­cile à situer, les hommes ignorent la vio­lence, car leurs ten­dances bes­tiales et agres­sives trouvent un exu­toire grâce aux rêves noc­turnes qui les conduisent dans la Caverne : selon leur nature, ils se trans­forment alors en un ani­mal fan­tas­tique qui chasse, copule fré­né­ti­que­ment ou se fait chas­ser, sup­pri­mant ce genre de com­por­te­ment à l’état diurne.
L’héroïne, Pavla Nim­ro­bets, est une « daine » dans la Caverne, c’est-à-dire une proie de choix, de celles qui ne se laissent pas aisé­ment attra­per. Mais voici qu’elle est sujette à des phé­no­mènes cen­sé­ment impos­sibles : elle recon­naît en plein jour le stark qui l’a pour­sui­vie trois nuits durant. Or dans la Caverne, il n’y a pas d’êtres humains, il y a des daines et des starks, des bouxons et des scrolls, et divers ani­maux, mais si on sup­pose que, trois nuits de suite, au lieu d’un stark pour­sui­vant une daine, c’est Raman Kovitch qui a pour­suivi Pavla… Oui­pa­reille hypo­thèse ébran­le­rait sérieu­se­ment les bases mêmes de l’existence. Pavla pense donc être déran­gée, mais il s’avère bien­tôt qu’elle est en fait vic­time d’un com­plot des­tiné à lui ôter les molé­cules de chance dont elle se découvre dotée de façon excep­tion­nelle. Grâce à ces molé­cules, on fabri­que­rait un médi­ca­ment per­met­tant à ses uti­li­sa­teurs d’être invul­né­rables dans la Caverne. Pavla réussira-t-elle à échap­per à ceux qui veulent la « tondre » ? Et ceci est-il vrai­ment sou­hai­table ? Telles sont les deux ques­tions qui doivent tenir le lec­teur en haleine.
 
L’atmo­sphère créée n’est pas déplai­sante. Les Diat­chenko ont réussi à construire un uni­vers fami­liè­re­ment étrange, à la fois sem­blable au nôtre par ses chaînes de TV, ses théâtres ou ses voi­tures, mais dis­crè­te­ment dif­fé­rent, avec des ins­ti­tu­tions poli­tiques appe­lées « tri­ma­gis­tères », des per­son­nages aux noms curieux — Pavla, Raman, Tri­tan… -, et une géo­gra­phie volon­tai­re­ment impré­cise… Rien de très ori­gi­nal, certes, mais ce n’est pas désa­gréable. Quant au monde de la Caverne, les auteurs sont par­ve­nus à lui don­ner une cer­taine consis­tance, grâce à des leit­mo­tive tout à fait aptes à repro­duire la « logique » oni­rique : en réap­pa­rais­sant, les mêmes images créent l’impression du monde à la fois fatal et fami­lier des désirs les plus pro­fonds.
 
Pour­tant, l’ensemble ne fonc­tionne pas. Je ne par­le­rai même pas des fla­sh­backs met­tant en scène un homme et une fillette, dont on se demande trop long­temps ce qu’ils viennent faire là, car on a, depuis un moment déjà, dés­in­vesti émo­tion­nel­le­ment le livre. La res­sem­blance de son monde diurne et du nôtre ne nous per­met pas de sai­sir, si ce n’est a pos­te­riori et/ou de façon pure­ment intel­lec­tuelle, les pro­blèmes aux­quels sont confron­tés les per­son­nages.
Pour­quoi est-ce si inquié­tant d’être pour­suivi plu­sieurs fois par le même stark dans la Caverne ? Pour­quoi est-il indé­cent de par­ler de la Caverne au grand jour ? Pour­quoi Raman Kovitch s’offusque-t-il de ce Tri­tan qui veut empê­cher qu’on tonde Pavla de sa chance ? Si, une fois qu’il a com­pris les règles régis­sant cet uni­vers, le lec­teur est en mesure de répondre à ces ques­tions, elles ne trouvent néan­moins en lui aucune réson­nance émo­tion­nelle. Sans par­ler du fait que la niai­se­rie et les mal­adresses de l’héroïne agacent ter­ri­ble­ment, ses amours et les menaces qui pèsent sur elle, dont nous sommes inca­pables de sen­tir la cré­di­bi­lité et les enjeux, sont à la limite de nous indifférer.

Et ce n’est pas la soi-disant por­tée phi­lo­so­phique du livre qui va venir rache­ter ses fai­blesses roma­nesques. La dicho­to­mie entre le monde diurne et celui de la Caverne devrait inter­ro­ger le lec­teur sur la part ani­male en l’homme, sur la pos­si­bi­lité pour lui de répondre de ses ins­tincts ou de les domes­ti­quer. Ima­gi­nez pen­dant quelques minutes, sug­gère Tri­tan à Raman Kovitch, redou­table stark dans la Caverne, que pas une seule vic­time ne vous tombe sous la dent. Qu’elles soient toutes inac­ces­sibles. Le per­son­nage aus­si­tôt s’affole.
 
La ques­tion ne manque pas d’intérêt, mais La Caverne conduit au mieux la réflexion à des évi­dences — il y a des ins­tincts ani­maux en l’homme -, et sinon à de inco­hé­rences : si les rêves de la Caverne débar­rassent les hommes de leurs ins­tincts pré­da­teurs dans la vie diurne, pour­quoi Raman Kovitch continue-t-il à tyran­ni­ser ses subor­don­nés ? Pour­quoi le pou­voir en place est-il si dic­ta­to­rial ? Pour­quoi les désirs de tuer et de s’accoupler fré­né­ti­que­ment sont-ils les seuls à être sup­pri­més par la Caverne ? D’autre part, en assi­gnant un ani­mal et un seul à chaque homme, les auteurs pos­tulent une unité et une sta­bi­lité aussi réduc­trices qu’improbables dans le com­por­te­ment humain.

Bref, point n’est besoin d’être phi­lo­sophe pour trou­ver exces­sives les pré­ten­tions de La Caverne à repré­sen­ter de manière ori­gi­nale l’éternel débat de l’homme et de ses ins­tincts. Et comme côté lit­té­ra­ture et effi­ca­cité nar­ra­tive on reste un peu sur sa fin, on ne lira le livre que pour son atmo­sphère.

agathe de lastyns

   
 

 Marina et Ser­gueï Diat­chenko, La Caverne (tra­duit du russe par Anto­nina Roubichou-Stretz), Albin Michel, mars 2009, 412 p. — 21,90 €.

 
     
 

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