Raphaële George, Je suis le monde qui me blesse

L’intime et le reste

De son vrai nom Ghis­laine Amon, Raphaële George publie à 25 ans son pre­mier livre  Le petit vélo beige  puis de nom­breux textes (en revues sous son nom ou pseu­do­nyme). Elle co-créa « Les Cahiers du double » et à côté de l’écriture tra­vailla la pein­ture qu’elle exposa en solo ou en groupes. A la fin des années 70, avec Vincent Ver­de­guer, elle peint plu­sieurs Fresques murales éphé­mères sur les murs des entre­pôts de Bercy à l’abandon (cer­taines sont conser­vées dans les Fonds d’Art Contem­po­rain de la Ville de Paris). Au début des années 80, elle change défi­ni­ti­ve­ment de nom d’auteur, publie dans la fou­lée un livre majeur  Les Nuits échan­gées suivi de l’Éloge de la fatigue  (édi­tions Lettres Vives) mais décède peu après. Paraissent l’année sui­vante  Psaume de silence  et bien plus tard  Double inté­rieur  (aux édi­tions Lettres Vives) ainsi que L’Absence réelle, écrit avec Jean-Louis Gio­van­noni.
Pour ce der­nier, « le cœur de l’œuvre de Raphaële George se trouve dans son jour­nal. Elle y pré­pare sa fic­tion, tisse son ima­gi­naire ». Et Gio­van­noni a décidé de le publier. Le jour­nal ne res­semble pas à un che­min de vie chro­no­lo­gique mais à un pla­card secret où l’auteure ose sa vie auto­nome et secrète. La soli­tude en devient le pôle répul­sif. Néan­moins et quoique ne pou­vant vivre sans l’autre, elle était inca­pable d’y par­ve­nir en se murant dans un silence qui pro­vo­qua chez elle une tris­tesse sourde et infi­nie que Gio­van­noni nomme non sans rai­son « La tris­tesse de la tris­tesse ». Et une détresse aussi.

Raphaële Georges fut la vic­time d’une sorte d’empêchement inté­rieur et indé­fec­tible. L’Imaginaire lui ser­vait à ten­ter de construire une vie. Jamais plus que chez elle la for­mule « Ima­gi­na­tions mortes ima­gi­nez » (Beckett) conve­nait à celle dont les mots arra­chés au silence vou­lurent tapis­ser la mai­son des êtres. Et celle qui par ses noms d’emprunt fut d’une cer­taine manière une ombre, un ersatz, une fic­tion de sa fic­tion se livre ici comme nulle part ailleurs dans son œuvre.
Dans un genre (le jour­nal) consi­déré comme un à-côté, l’écriture bous­cule l’apparente logique fic­tion­nelle et fomente le peu de confor­mité qu’on est en droit d’attendre d’un jour­nal. Il reste autant allu­sif que pos­sible dans ce qui tient autant de l’intime que de la dis­cré­tion. L’écriture s’étoffe tout en se défai­sant aux seins d’émotions et d’ardeurs vaga­bondes. L’auteure fran­chit autant des lieux d’ombres que de rêves, là où — par nature du genre — tout reste mouvant.

jean-paul gavard-perret

Raphaële George,  Je suis le monde qui me blesse  - Jour­nal inté­gral (1976 — 1985), Edi­tion éta­blie par Jean-Louis Gio­van­noni et Nico­las Mar­quet, Edi­tions Unes, Nice, 2017, 192 p. — 23,00 €.

1 Comment

Filed under Poésie

One Response to Raphaële George, Je suis le monde qui me blesse

  1. frankie fbr

    Ou pour­rais je me pro­cu­rer ce recueil de poemes? L ache­ter bien sur, ou plu­tot le com­man­der depuis le Canada? merci,F

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