Le Mexique comme un jeu de cartes un peu forcé, celui des sept familles
Prenons cette intrigue pour point de départ : Héliodoro, journaliste, enquête sur les réseaux de trafic de drogue au Mexique, sujet pour le moins sensible. Il s’intéresse de près à un richissime mexicain ; après avoir séduit une de ses amantes, il survole en parapente son hacienda, qui sert de centre d’entraînement à une milice on ne peut plus violente. Si le fait de survoler une hacienda pleine à craquer d’anciens membres de trafiquants ultra violents recrutés par un magnat mexicain vous tente, ce livre est fait pour vous, sinon, passe ton chemin, gringo.
A l’image de ce morceau de bravoure (ou d’inconscience), ce livre tente de survoler le Mexique et d’en rendre compte dans toutes ses dimensions. La grande affaire c’est de pouvoir effectuer un vol plané à travers l’histoire du Mexique. Sans atterrissage, donc sans épilogue, car on sent bien que l’histoire du Mexique, qui a commencé par le sang, finira .… par le sang.
Ce pays respire la mort, La Catrina. Babette Stern est journaliste. Pour Le Monde, elle a écrit des articles sur l’économie parallèle, les mouvements altermondialistes, les enjeux économiques mondiaux et les trafics. Elle est également partie pendant trois ans au Mexique comme correspondante pour Libération. Sa connaissance passionnée du pays est sûrement la matière première, la matrice de cet ouvrage.
On se laisse emporter avec un plaisir partagé sur les traces de l’insaisissable guérillero Pancho Villa. On peut être ému à la lecture des journaux imaginaires croisés de la Malinche — indienne au service des conquistadores et d’Hernan Cortes, son amant. Babette Stern éveille notre curiosité et notre intérêt pour Frida Kahlo et l’ouverture de sa chambre secrète, fermée depuis près de cinquante ans.
Elle aurait pu compiler ainsi des articles sur le Mexique, mais elle a préféré faire de cette compilation journalistique une expérience romanesque. Et c’est là, pour moi, que le bât blesse. Car je regrette de devoir exprimer mes réserves sur cet ouvrage inspiré et enthousiaste qu’est Le Roman du Mexique. Il a ceci de déroutant que je n’ai jamais vraiment su comment le lire : regardez la couverture, elle ressemble à une banale carte postale de Chichén Itzá. Et regardez le style du titre : il a de quoi donner la banane à la première retraitée américaine fraîchement débarquée dans le Yucatan. Second degré peut-être je me suis dit. Et j’y ai cru car l’ouvrage ne manque ni d’intérêt, ni de style, ni de profondeur : la thèse profonde, authentique du livre est peut-être là : Huitzlopochtli inspire toujours les hommes. Le sang n’est plus l’aliment sacré des rituels aztèques censés maintenir l’ordre cosmique. Il coule au nom du culte plus prosaïque de l’Argent. Ses grands prêtres changent d’apparence selon les époques. Au XVIe siècle, les Espagnols ont massacré des populations indigènes pour assouvir leur désir de puissance et d’or. Au XXIe siècle, les narcos, mais ce ne sont pas les seuls, versent le sang pour propulser le mouvement capitaliste.
Ce goût pour la permanence, cette quête de l’immanence me plait. L’utilisation superficielle — fictionnelle — de ce personnage d’Hidalgo Duran, richissime mexicain, qui à la tête de son holding criminelle est censé faire la collection des objets symboliques de l’histoire du Mexique me plait moins. Tous ces objets ne deviennent que des prétextes convenus, des entrées à des développements qui n’en avaient pas besoin. Les personnages avaient-ils besoin de se rendre à un concert de Manu Chao — bientôt interdit ? — pour que l’on puisse avoir une présentation de l’importance mexicaine du chanteur ?
Mais, pour l’indécrottable prof, il y a pire, il y a ça : lorsque la Malinche relate son périple, on peut lire Nous marchons depuis des jours, direction Mexico-Tenochtilan, sept cents kilomètres à vol d’oiseau. Mais les kilomètres n’existaient pas encore… Inventés plus tard, bien plus tard. Ailleurs. Et l’artifice ne prend plus. La question du « qui parle ? », du « qui écrit ? » revient brutalement. On se réveille en se disant, j’ai failli y croire…
Alors : que croire ? L’histoire terrible du Mexique devient truquée. Là on « patauge dans l’anachronisme » pour reprendre une expression de Lucien Jerphagnon dans un ouvrage dont la chronique paraîtra prochainement. Plus loin, la ville de Mexico est présentée comme « la définition même de la mégalopole »… Or ce mot a un sens commun : celui de grande ville et un sens plus précis, distinct de celui de mégapole, désignant alors une concentration exceptionnelle de différentes agglomérations. En géographie, on dirait donc que Mexico est la définition même de mégapole… La question devient donc : dans quel champs se situe alors la journaliste ? la romancière ?…
C’est un ouvrage pour papillon et pas pour celui, qui comme moi, a la légèreté conceptuelle d’un char d’assaut. Alors bien sûr, je pinaille. Froid, pointilleux, docte et donneur de leçons je suis. Je reste. Autant rechercher à mettre à plat une feuille pliée. Mais finalement l’intérêt du livre est bien de montrer combien pour aborder l’histoire d’un pays aussi dingue, tragique et drôlement excessif comme le Mexique, il faut d’attention et de profondeur.
Le Mexique ne peut se réduire à un produit pré-construit, à une étiquette. Entre l’étiquette et l’invitation à la découverte, la nuance est parfois subtile.
camille aranyossy
Babette Stern, Le Roman du Mexique, Collection Les romans des noms et lieux magiques, Editions du Rocher, Paris, mars 2009, 137 p. — 19,90 euros. |
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