L’autofiction peut-elle encore séduire ? Disséquer ce style le rendrait peut-être classique
Échafaudage contemplatif, monologue intérieur de la naissance presque fortuite du désir. Ici, le personnage principal, loin d’avoir confiance en lui ou même d’espérer, ne serait-ce qu’un instant, trouver l’âme sœur, sa moitié, un amour, n’importe lequel, même ténu, s’enferre au contraire dans ses croyances personnelles, ses mythologies usuelles, pour ne pas espérer justement. Cependant l’amour survient, aux antipodes de toutes les théories échafaudées.
Le nouveau roman d’Isabelle Zribi pourrait faire partie de ce lot d’autofictions que l’on trouve à volonté dans les librairies. Mais, peut-être, est-ce autre chose que de l’introspection manipulée : de la fiction bien plus que de l’autobiographie ? Le “ pacte autobiographique ” n’est pas certain. Le roman nous plonge rapidement dans ce doute raisonnable qui est de penser que les projections choisies pour ce corpus textuel ne sont pas rétrospectives. Le personnage principal (et à la fois narrateur) est-il bien ce que l’on croit penser de l’auteur ? Quelle serait la part de faits réels ? Les similitudes inventées sont peut-être uniquement le reflet de nos préjugés, de nos caricatures ? Isabelle Zribi aiguise notre curiosité en se plaçant sur ce fil tendu entre Réel et Fiction. Son style ciselé incarne le concept déjà classique de l’autofiction et fonde le pouvoir captivant de ce roman au-delà de son thème.
Les personnages sont parfois asexués. Points de départ androgynes, la confusion des genres offre une possibilité d’identification et l’on est happé à la toute première page. Est-ce il ou elle qui se raconte, on ne le sait pas immédiatement. Il y a aussi ce personnage appelé justement “ ma grande amie ni mâle ni femelle ”. Cela pourrait être nous, tout aussi bien mâle que femelle. En quelque sorte cet effacement des sexes permet au lecteur une appropriation floue qui le plonge également dans une lecture rapide et continue. Rien n’est laissé de côté, le roman se lit d’une traite et chaque personnage nous offre ce possible miroir. Une fois pris au piège de l’identification, le roman glisse doucement vers la féminité entraînant le lecteur avec lui.
La narratrice confronte ses désirs à l’énigmatique C., figure solaire de l’amour, à la grande amie à qui elle se confie vaguement et à la vieille femme à sa fenêtre, quant à elle figure grise de la solitude. Quatre personnages formant quadrilatère des incompréhensions autant que des intuitions et des hasards, supports de ses réflexions autours de l’improbable espoir d’être aimé. Le principal de ce qui est raconté est l’émergence d’un amour, d’un désir qui se concrétise presque malgré elle et toutes ses réticences. Et cela, justement a contrario du flot de pensées qui l’habitent : persuadée de l’échec, tétanisée par cette difficulté d’aimer ou d’être aimée, considérant son état comme un handicap définitif. On ne sait presque rien des personnages qui l’entourent. Ils sont de simples silhouettes qui s’approchent de temps à autre et influent sur les extrapolations du personnage principal comme sur un dessin au lavis dont l’encre encore humide noierait par endroits les tracés figés d’une plume.
A rebours, la topologie du roman est parfaitement dessinée : l’appartement dont on ne perçoit que cette fenêtre ouverte sur la nuit, écran quotidien de solitude face auquel se trouve la vieille femme J’avais alors la malchance de voir dans l’immeuble d’en face une voisine seule, laide et de plus en plus âgée, regarder la nuit tomber avec des pensées écoeurantes liées à son âge. Tous les soirs de sa vie, elle regarde cette femme vieillir ; s’indignant de toutes les dégradations, de toutes les solitudes autant que de ce vide qui semble emplir sa vie.
La bibliothèque, aussi appelé ” le caveau “, détermine le lieu de ses jours passés en silence dans la poussière des livres entassés. Grisaille et fadeur d’un espace qui ne se prête pas aux rencontres, descriptif de jours immuables passés à ne rien dire, enfermement du travail, de la lecture solitaire et glacée. Plans fixes.
Enfin il y a le bois, l’antre primitif. Le bois, où pour la première fois, elle marche aux côtés de C., à l’ombre touffue des arbres. Travelling avant.
Alors que tout son environnement baigne dans le gris, elle admire C., entrant dans son paysage, cette partie de la toile laissée vierge, lumineuse, et qui semble offrir enfin une respiration sur le canevas stérile de sa vie.
“ Tous les soirs de ma vie ” est un roman bien ficelé.
karol letourneux
![]() |
||
Isabelle Zribi,Tous les soirs de ma vie, Éditions Verticales, février 2009,102 p. 15,00 €. |
||
![]() |