Stanley J. Weyman, Le Gentilhomme et le roi

Un des grands oubliés de l’histoire du genre roman d’aventures

Langue de plume

L’auteur du Gen­til­homme et le roi fait par­tie des grands oubliés de l’histoire d’un genre, le roman d’aventures, qui ne compte pas assez d’écrivains remar­quables pour qu’il soit bon d’en igno­rer un. Wey­man fut appré­cié à son époque par Ste­ven­son et Oscar Wilde, deux réfé­rences qui témoignent, cha­cune à sa manière, des qua­li­tés de son œuvre qui réunit l’aspect attrayant et l’exigence lit­té­raire. Pour un lec­teur d’aujourd’hui, ce roman (comme La Mai­son du Loup, éga­le­ment tra­duit par Karine Lemoine pour le même édi­teur) pro­duit un effet de contraste bien­venu avec la plu­part des ouvrages récents rele­vant du même genre : on trouve chez Wey­man un don de conteur des plus entraî­nants, une éru­di­tion his­to­rique mani­fes­tée avec natu­rel, une finesse psy­cho­lo­gique et une écri­ture por­tant à l’empathie — autant d’avantages qui devraient lui valoir un nou­veau lec­to­rat tou­jours plus large.

Le sujet du Gen­til­homme et le roi nous plonge dans une période char­nière, celle où le règne d’Henri III touche à sa fin, tan­dis que la posi­tion du futur Henri IV reste encore mal assu­rée, sur fond d’hostilité entre catho­liques et hugue­nots. Le pro­ta­go­niste, Gas­ton de Mar­sac, est un homme d’armes dont l’avenir dépend du suc­cès de la mis­sion que lui confie Henri de Navarre : enle­ver et convoyer à tra­vers la France une jeune femme qui peut ser­vir de témoin dans une affaire d’importance stra­té­gique. Ainsi conçu, le dis­po­si­tif de l’intrigue s’avère en même temps très ins­truc­tif quant à l’époque, riche en sus­pense et ingé­nieu­se­ment dou­blé d’une his­toire d’amour (presque) impos­sible.
De fait, le sieur de Mar­sac, un homme de qua­lité, mais pauvre, sans gloire et plus très jeune, se retrouve épris d’une demoi­selle dont la condi­tion la lui rend inac­ces­sible, et qui ne se prive pas de le trai­ter avec mépris, quand ce n’est pas haineusement.

La défi­ni­tion des pro­ta­go­nistes cor­res­pond à un choix typique de Wey­man, un roman­cier atta­ché aux anti­hé­ros et aux situa­tions miti­gées. Il exploite les par­ti­cu­la­ri­tés et les fai­blesses de ses per­son­nages prin­ci­paux avec une sub­ti­lité rare pour le genre, qui assure à son œuvre un aspect ori­gi­nal et bien plus moderne que les par­tis pris de ses contem­po­rains. Une gale­rie de por­traits de second plan, allant des cour­ti­sans per­fides au prêtre dia­bo­lique, recons­ti­tue habi­le­ment le cadre socio-historique tout en ren­for­çant la ten­sion dra­ma­tique.
Sur le plan des idées, celles qui tra­versent le récit n’ont rien d’obsolète : Wey­man est un par­ti­san de la tolé­rance, en fait de reli­gion comme par ailleurs, et sa vision de l’Histoire n’est pas sujette aux pré­ju­gés cou­rants en son temps. Il n’a pas non plus le goût de la vio­lence, ce qui nous épargne la sur­en­chère d’horreurs cou­rante chez ses confrères anglo-saxons.

L’auteur excelle dans les rebon­dis­se­ments d’une action où le phy­sique et le psy­cho­lo­gique, le mar­tial et le sen­ti­men­tal s’entremêlent conti­nuel­le­ment. Il ne manque pas d’humour, quoique ce soit l’émotion qui pré­do­mine dans le texte. On lit ce livre avec un inté­rêt et un appé­tit sans mélange, en allant de sur­prise en sur­prise, jamais déçu. La qua­lité de la tra­duc­tion, en équi­libre entre le rendu du par­ler d’époque et le souci de lisi­bi­lité, contri­bue gran­de­ment à notre plai­sir.

agathe de lastyns

   
 

Stan­ley J. Wey­man, Le Gen­til­homme et le roi (tra­duit par Karine Lemoine), Edi­tions du Revif, 2008, 415 p. — 18,00 €.

 
     

Leave a Comment

Filed under Non classé, Romans

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>