Dalia Grinkeviciute est l’un des 14 600 Lituaniens (hommes, femmes et enfants) qui ont été déportés au-delà du cercle polaire, en 1941, sur ordre de Staline, sans jugement, dans le but implicite d’affaiblir le pays et d’y répandre la terreur pour mieux le soumettre. Daria avait alors 14 ans, et son frère, 17 ; leurs parents étaient respectivement économiste et mère au foyer – un échantillon représentatif de ce qui pouvait paraître dangereux au pouvoir soviétique : les Lituaniens instruits de la classe moyenne. La plupart des déportés ont péri, étant exposés aux pires conditions de vie, systématiquement affamés et soumis aux travaux forcés. Ceux qui ont survécu pouvaient se demander, comme la mère de Daria, en 1950, pourquoi on ne les avait pas fusillés sur-le-champ, au lieu de leur faire endurer, des années durant, des supplices quotidiens inqualifiables.
Le livre de Grinkeviciute mérite d’autant plus d’attention que le lectorat français ignore pratiquement tout des déportés lituaniens, et qu’il s’agit d’un ouvrage comparable à ceux de Primo Levi et de Robert Antelme, par l’éloquence avec laquelle l’auteur restitue l’horreur à l’état pur.
Prisonnière de l’île glacée de Trofimovsk se compose de deux parties : les souvenirs que Dalia rédigea en 1949 (un manuscrit qu’elle crut perdu) et le récit, datant de 1974, où se trouvent récapitulées ses années de déportation et la suite de sa vie. Contrairement à ce que le lecteur peut imaginer, la seconde partie ne comporte guère de redites par rapport à la première, offrant non pas une reconstitution détaillée, mais une vision plus large et mieux informée de la période que les deux manuscrits ont en commun.
Le récit des années 1949–1974 n’est pas moins révélateur que le témoignage sur la déportation, quant aux méthodes de répression soviétiques. On y apprend notamment que Daria resta suspecte et fut constamment persécutée, d’une part à titre d’ancienne déportée, et d’autre part, pour avoir explicitement choisi, en 1950, d’aller au goulag au lieu de devenir moucharde. Voici le résumé de la situation qu’elle a pu faire en 1974, après avoir perdu son travail de médecin, et avoir subi une campagne de dénigrement par voie de presse : “De nos jours, ils ne te fusillent pas, ils ne te guillotinent pas, mais ils te noient dans une fosse à ordures. Leur arme – la boue et la terreur morale.“ (p. 317).
Un document irremplaçable sur le régime soviétique, écrit par une femme qui a fait preuve d’héroïsme au quotidien, depuis son adolescence jusqu’à sa mort prématurée (le cœur usé à force d’épreuves).
agathe de lastyns
Dalia Grinkeviciute, Prisonnière de l’île glacée de Trofimovsk, traduit du lituanien par Jurate Terleckaite, Le Rocher, avril 2017, 333 p. – 21,90 €.
J’ai lu ce livre le mois dernier. On n’en sort pas indemne, et pourtant, j’ai lu nombre de témoignages d’anciens du Goulag. Ce que narre l’auteur (avec une précision de scalpel, une mise en distanciation froide tout en donnant une vivacité aux dialogues qui offre aux scènes inouïes qu’elle relate une véracité implacable) est au-delà de ce que nous pouvons imaginer. Ces hommes, ces femmes, ces enfants ont vécu le pire du pire de ce que les hommes sont capables de faire à d’autres hommes. Néanmoins, par une espèce de grâce, Dalia Grinkeviciute, outre sa dénonciation de la dictature communiste, nous donne une leçon de vie.
Ai rencontré Jurate Terleckaite traductrice de ce livre en français.
Elle est guide à Riga.
Elle m a recommandé ce livre préface par son père.