Alain de Benoist, Ce que penser veut dire

« Je pense donc tu suis »  (P. Desproges)

Si l’on veut être pré­cis au sujet de notre exorde, on rap­pel­lera que l’ironique clin d’oeil de Des­proges au cogito car­té­sien dans notre titre était pré­cédé dans Fonds de tiroir (Le Seuil, 2008) de cette phrase :  « L’élite de ce pays per­met de faire et défaire les modes, sui­vant la maxime qui pro­clame :… » Ce qui ne signi­fie pas que Alain de Benoist soit un émi­nent membre de la grise bien-pensance qui nous infli­ge­rait ici des pas­sages obli­gés par une cer­taine élite tech­no­cra­tique de la pen­sée (« phi­lo­so­phique » pour l’essentiel), bien au contraire : si l’humoriste pour­fen­dait  les adeptes mou­ton­niers du sui­visme (notam­ment en période élec­to­rale…), notre auteur entend pour sa part célé­brer de manière plus onto­lo­gique  la capa­cité à « être » de ceux qui font effort pour pen­ser – sans for­cé­ment s’intégrer dans le tout-venant du consen­sus mophé­tique.
Rai­son pour laquelle, comme il le sou­ligne dans sa pré­face, il ne se contente pas dans ces pages des grandes figures clas­siques du cor­pus phi­lo­so­phiques (Rous­seau, Marx, Freud, Hei­deg­ger, Strauss, Arendt, de Romilly…) mais leur adjoint , issus d’autres cercles, des auteurs — par­fois sur­pre­nants– tels que Goethe, Berl, Mon­ther­lant, de Jou­ve­nel, Lorenz, Koest­ler, de Rou­ge­mont, Abel­lio, Mon­ne­rot, Vil­ley, Cau, Péguy, Bau­drillard ou encore Michéa.

Un éclec­tisme cer­tain donc, à même de décon­te­nan­cer le lec­teur, mais que diable, objectera-t-on, allait-il faire dans cette galère de l’histoire des idées ? Que nenni, car en défi­ni­tive cha­cune des entrées de cet essai éclaire, pour reprendre ce mot intro­duc­tif,  ce qui sépare « pen­ser à » et « pen­ser tout court » et ce, à l’aide de notice infor­mées qui par­viennent en quelques pages à pro­po­ser la syn­thèse cri­tique d’un sys­tème de pen­sée ou d’une oeuvre indis­pen­sable. Et qui n’hésitent pas, quand besoin s’en fait sen­tir, à rec­ti­fier non sans malice les approxi­ma­tions de la doxa– ô “obs­tacle épis­té­mo­lo­gique” quand tu nous tiens ! —  dans sa récep­tion  de tel ou tel cor­pus (le rôle des Lumières, le sta­tut de la Révo­lu­tion fran­çaise, le vrai faux divan de Freud etc.)
L’historien des idées réus­sit donc le pari, qui plus est en mélan­geant des genres au moins dis­tants, d’inviter à la com­pré­hen­sion de l’herméneutique des uns et de la dialectique/didactique des autres.  A telle enseigne que l’on pour­rait appli­quer à Alain de Benoist him­self, ce qui n’est point une insulte,  la for­mule de Henri Birault (citée dans un savou­reux entre­tien sur Nietzsche, p. 323)  disant qu’ « un ‘nietz­schéen’ est quelqu’un qui pense avec Nietzsche, et non comme lui. »

Même si l’on regret­tera que tel ou tel auteur phi­lo­so­phique n’ait pas ici été accueilli (Kant et Hegel en par­ti­cu­lier), voici un ouvrage sti­mu­lant  sur, entre autres, la nature de l’homme et l’origine de la société, le fon­de­ment du poli­tique, l’essence du capi­ta­lisme, la psy­cha­na­lyse,  la psy­cho­lo­gie des foules,  le phé­no­mène tota­li­taire ou l’essence du droit.
A conseiller d’urgence, par exemple,  en vue du bac, à ces élèves  - évo­qués par Hélène Péqui­gnat dans Pla­ton et Des­cartes passent le bac­ca­lau­réat - « dans la norme, c’est-à-dire bien sou­vent nour­ris au Coca et aux jeux vidéos, télé­phone greffé, pros du zap­ping et de la satis­fac­tion non dif­fé­rée, gavés d’images et de mou­ve­ments per­pé­tuels… » et fort inca­pables  en l’état pré­sent de rendre grâce au Wass heißt den­ken ?  d’Heidegger.
Tous les péda­gogues savent en effet qu’il n’est jamais trop tard, sinon pour bien faire, du moins pour faire un minimum.

fre­de­ric grolleau

Alain de Benoist, Ce que pen­ser veut dire, Edi­tions du Rocher, avril 2017, 377 p. – 19,90 €.

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