Comment Colette est devenue Colette
L’image de Colette, au faîte de sa renommée, est celle d’une vieille dame clouée dans un lit car elle est percluse d’arthrose et un excédent de poids limite ses mouvements. Or, comme toute personne âgée, elle a eu une jeunesse et une vie, en l’occurrence mouvementée pour s’affranchir et s’affirmer dans une époque où le statut de la femme était confiné. Ce sont ces années, ces trente ans de son mariage avec Willy à son divorce avec le baron Henri de Jouvenel, qu’Annie Goetzinger a choisi de mettre en scène pour notre plus grand plaisir.
Henri Gauthier-Villard, dit Willy, a un fils qu’il a mis en nourrice dans le Loiret, chez les Colette. C’est en allant le voir qu’il s’attache à la jeune Sidonie-Gabrielle au point de l’épouser. Il est écrivain, journaliste mondain, introduit dans le Paris des arts. Elle est une jeune provinciale d’à peine vingt ans quand il en a trente-quatre. Après une cérémonie de mariage dans l’intimité familiale, il l’emmène à Paris où il continue sa vie d’avant. Il autorise toutefois celle qu’il appelle Colette à le rejoindre à la rédaction de L’Écho de Paris où il rédige ses chroniques. Peu à peu, elle le suit dans les dîners, au Bois de Boulogne, dans les théâtres, concerts.
Il continue ses conquêtes. Quand elle apprend son infortune, elle tombe gravement malade. Pour sa convalescence, il lui offre un séjour à Belle-Île. C’est là qu’elle évoque ses souvenirs d’école primaire. Il lui propose de les jeter sur le papier. Mais à la lecture des sept cahiers, il décrète que cela ne vaut rien. Bien plus tard, en faisant du tri dans ses dossiers, il retrouve les cahiers de Colette et comprend le contenu qu’il fait publier… sous son nom. C’est le succès : quarante mille exemplaires en deux mois. Il pousse son épouse à continuer. Or, celle-ci attend autre chose de sa vie. Sa rencontre avec la poétesse Natalie Barney est un fait déclencheur. La jeune femme fait éclater le carcan, s’émancipe et multiplie les expériences… Et la vie de Colette est riche. Elle a mené une activité effrénée de journaliste, de reporter, de chroniqueuse de music-hall. Elle fut comédienne, danseuse, mime, amantes d’hommes, de femmes…
Elle est partie de Chatillon-Coligny, petite commune du Loiret et s’est assise au Panthéon après avoir vécu un apprentissage tel qu’on l’entendait depuis le XIIIe siècle avec : “…un itinéraire initiatique, une éducation et une confrontation au monde et, au bout du chemin, une fois les obstacles surmontés, les premiers coups durs encaissés et les désillusions acceptées, un accès à soi-même, à ses propres volontés, à ses désirs.” Femme trompée, elle s’est affranchie pour vivre ses propres amours selon ses aspirations, selon ses besoins.
C’est Annie Goetzinger qui retrace ces années tout en évoquant la Belle Époque, le Paris artistique du début du XXe siècle, les journaux, les théâtres, les femmes du monde, les comédiennes, les demi-mondaines et des auteurs. Avec son trait élégant, fin, léger, ses couleurs subtiles, elle fait revivre cette époque et offre un véritable plaisir à regarder ces planches entrecoupées de quelques cartouches marquant les grandes étapes de la vie de Colette. Cet album à la présentation luxueuse, élégante, est complétée par une préface de Nathalie Crom, d’une liste des sources authentiques utilisées par Annie Goetzinger, une chronologie de sa vie jusqu’à son décès le 5 aout 1954. Une biographie succincte de ceux qui ont fait l’entourage de la romancière et une bibliographie permettent d’approfondir le contenu de cet album.
Annie Goetzinger se fait rare. Quel dommage que son talent ne soit pas plus mis en valeur, un regret que la lecture de cet album intensifie.
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serge perraud
Annie Goetzinger, Les apprentissages de Colette, Dargaud, mars 2017, 128 p. – 24,95 €.