Emeline Hamon transmission de l’intime
Franchir la frontière, changer de corps touche non seulement au plaisir mais à la nécessité existentielle pour certains êtres. Et qu’importe si les certitudes des imbéciles se voient interpellées par cette traversée. Hamon par sa quête photographique identitaire prouve que des corps diffèrent en eux-mêmes du genre qui lui fut donné. Semé corruptible, il tente de ressusciter incorruptible. Vécu méprisable, il peut renaître glorieux en entrant dans un physique qui lui convient mieux.
Photographiés dans leur globalité ou par fragments, les corps d’Emeline Hamon sont le signe de transformations, de passages d’un genre à l’autre. S’y pose la question de la nature même d’une femme ou d’un homme. Certaines séries, volontairement floues, décadrées, suggèrent les flottements de l’identité. D’autres posent plus précisément la question de ce qu’il en est du portrait, de sa ressemblance à la fois dans ses métamorphoses mais aussi à l’épreuve du temps.
L’artiste fait la différence ente « photo d’identité» et « photographie » : la première ne dit rien de nous, elle n’est qu’un repère social « genré ». La seconde propose une investigation plus profonde. Elle souligne l’état mouvant de l’être comme l’a fait Emeline Hamon dans sa série « Metamorphosis (2014). L’image devient un moyen de suggérer les « déformations » inhérentes à un être cloué dans l’impossibilité d’être qui il est ou saisi en sa capacité à se transformer pour devenir.
Photographier revient à aller à la rencontre de l’autre (en dehors ou en dedans de soi) comme dans sa série « Mélanie, Betty et les autres ». Celles-ci vivent une apparence qui n’est pas la bonne et qu’il faut donc changer. L’artiste capte les instants où l’être « hybride » se sent bien ou mieux au fil d’une traversée partielle ou totale. Le changement ne peut être que profitable mais rien n’est simple dans ce cas. La délivrance prend du temps et ressemble souvent à un départ sinon raté du moins remis à plus tard. D’autant qu’il arrive qu’en éternel traître l’inconscient marque un comportement qui fait de l’être un ectoplasme.
Néanmoins, retrouver son « vrai » genre reste le seul moyen de vivre et de pouvoir enfin dire « j’existe et je l’assume ». C’est s’extraire de la pure illusion comme de l’errance et de la répétition. C’est accepter la perte, c’est regarder du côté de l’autre en soi et en accepter le risque. Emeline Hamon montre donc comment le semblable passe par la dissemblance.. Ce n’est en rien une forme de schizophrénie mais un rêve bien éveillé et l’intuition vive d’une présence mystérieuse au-delà des limites habituelles de l’expérience humaine.
Bref, l’identité appelle le scandale radieux de la transsexualité. Et ce qui intéresse l’artiste est moins sa (re)connaissance que le trouble provoqué ́par la multiplication des images d’un même « modèle » réengendré par cette procédure de prises. Elle crée un réseau du mystère de l’Incarnation voire — et contrairement à ce qu’on pense dans ce type de transgression « délibérée » — à « rappeler l’être aux choses spirituelles par le mystère de son corps » (Saint Thomas d’Aquin).
jean-paul gavard-perret
Emeline Hamon, Exposition, Corridor Elephant, Paris, 2017