Patrice Gueniffey, Napoléon et de Gaulle. Deux héros français

La nation et ses grands hommes

En 1793, la France révo­lu­tion­naire déca­pita son roi, croyant ainsi mettre fin à la per­son­ni­fi­ca­tion du pou­voir au béné­fice d’une masse ano­nyme, le peuple sou­ve­rain. Or, ce régi­cide eut l’effet inverse en favo­ri­sant l’émergence de la figure de l’homme pro­vi­den­tiel à laquelle les Fran­çais semblent très atta­chés. Dans ce pan­théon, deux per­son­na­li­tés émergent et écrasent toutes les autres : Napo­léon et de Gaulle. Des­tins croi­sés, paral­lèles, oppo­sés ? Le grand his­to­rien de la Révo­lu­tion, Patrice Gue­nif­fey, ne se contente pas de répondre à ces ques­tions dans l’essai de haute volée qu’il publie sur l’Empereur et le président-monarque. Il ana­lyse aussi, avec cou­rage et luci­dité, ce que le sou­ve­nir de ces deux diri­geants nous apprend sur notre époque, sur la place de l’histoire dans notre société, sur notre per­son­nel poli­tique, sur nous-mêmes.
Ils sont grands bien sûr de leurs talents, de leur intel­li­gence, de leur audace, de la place que tient l’écriture dans leur vie et leur par­cours (y com­pris pour Napo­léon, ce qui est trop sou­vent oublié au pro­fit du Mémo­rial de Sainte-Hélène de Las Cases ou des Mémoires de guerre) et évi­dem­ment de leur œuvre de recons­truc­tion du pays.

Pour­tant, la lec­ture du livre impose l’idée que les dif­fé­rences l’emportent sur les simi­li­tudes. De Gaulle a rêvé, voulu, forcé son des­tin, là où Bona­parte atten­dit long­temps avant de le com­prendre. Le Corse a uni les Fran­çais, les a récon­ci­liés alors que le géné­ral les a divi­sés. L’un est un bon chef de guerre sachant par­ler à ses gro­gnards et les entraî­ner, alors que l’autre, froid et cas­sant, ne fut suivi à Londres par aucun de ses subor­don­nés. Même le rap­port avec les pro­fon­deurs du pays les sépare : la France de 1800 pousse Bona­parte vers le som­met, celle de 1940 est por­tée par de Gaulle. Le grand mérite du fon­da­teur de la Ve Répu­blique ? D’avoir per­mis « à la France de sor­tir de l’histoire par le haut. »
Tous deux arri­vés au pou­voir par une sorte de coup d’Etat que le géné­ral de 1958 réus­sit plus brillam­ment que son pré­dé­ces­seur de 1799, ils ont en com­mun leur dureté, peut-être davan­tage de Gaulle d’ailleurs qui tra­hit ses alliés de mai 1958, aban­donne les Pieds-noirs et les Har­kis, pour­suit ses adver­saires de sa mépri­sante vin­dicte. Ils sont, dit Patrice Gue­nif­fey, « admi­rables mais pas aimables ».

Notons enfin que ces deux hommes sont aussi grands des peti­tesses de notre époque que Patrice Gue­nif­fey pointe sans fard. Ainsi dénonce-t-il dans des pages viru­lentes et vraies la médio­crité de nos pré­si­dents, le dépouille­ment de l’art de la poli­tique, la France ignare et sur­tout la décons­truc­tion à l’œuvre par le biais des pro­grammes sco­laires, cette démarche décons­truc­ti­viste qui, pour prou­ver que la France n’existe pas, efface son his­toire. Les néo-marxistes, les héri­tiers de l’Ecole des Annales, les euro­péistes for­ce­nés ont com­pris que nier l’existence des grands hommes per­met­tait de mieux nier celle de la nation.
Mais la réa­lité est plus forte que l’idéologie. Ne croyons donc pas qu’il n’existe plus de « sau­veur » capable de chan­ger le cours de l’histoire. Après tout, avant 1979, rien ne per­met­tait de devi­ner que Mar­ga­ret That­cher entre­rait dans le pan­théon des grands per­son­nages de l’histoire.

fre­de­ric le moal

Patrice Gue­nif­fey, Napo­léon et de Gaulle. Deux héros fran­çais, Per­rin, février 2017, 414 p. — 21,50 €.

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