Surgissent dans le chant profond de Charles Reznikoff vertiges et appels, pulsations et jaillissements pour témoigner de l’Histoire et de ses horreurs et afin d’inventer autre chose que la mort. Le poète a dû apprendre à la désapprendre pour atteindre de tels visages et silhouettes. Cela demande parfois une vie. Apprendre n’est pas prendre, c’est se défaire tout en gardant une force militante de rappel.
Le poète atteste donc de la vie présente par des survivances à valeur d’icones chargées de tensions, de nœuds, de forces. Il ne se coule pas dans sa « fonction » de poète, ses masques, ses codes, ses faux gestes et ses protocoles. Il rompt le joug des répétitions et des faux savoirs. Il retourne là où tout a commencé et ou tout a fini.
Son acte créateur crée des branches nouvelles au réel dans la vibration d’ images aussi simples, terribles qu’ouvertes. La croissance du monde a lieu là où la mort fut donnée. Ici, il n’y a pas deux mondes — un dedans et un dehors ou encore un avant et un maintenant. Surgit la fusion. Se découvrent la roue cosmique des tortures des innocents et leur danse macabre. Accueillant ce qui lui vient de la Shoah, le poète fait le vide pour attirer le vertige et demeurer fidèle à sa loi inflexible : ne pas enseigner, révéler. Révéler les faux mondes, les savoirs carcéraux dans l’espoir de briser la chaîne des causes et des effets.
La poésie sort d’elle-même pour rappeler le monstre et son cercle immense là où les poussées du passé et du futur sont latentes.
jean-paul gavard-perret
Charles Reznikoff, Holocauste , traduit de l’anglais (U.S.A.) par André Markowicz, Editions Unes, 2017, 120 p. — 20,00 €.