Rodolph Casso, PariZ

Un poten­tiel lit­té­raire évident, insuf­fi­sam­ment mis en valeur par la thématique

Pour un pre­mier roman, la thé­ma­tique des Zom­bies était-elle un pari ris­qué ? On pour­rait le croire. Car les Zom­bies « ori­gi­nels » (et non ceux qui se sont « huma­ni­sés » au gré des romans et des séries télé­vi­sées qu’ils ont enva­his depuis leur appa­ri­tion) n’offrent plus de véri­tables rebonds. Ils sont et res­te­ront ce qu’ils sont : morts (tout du moins, à l’état céré­bral). Les traces de vie qui animent leurs corps pour­ris­sant, ampu­tés, muti­lés, déchar­nés n’existent que pour leur per­mettre de se repaître des vivants, ou de les infec­ter. Au-delà, point de salut. Sauf à les faire évo­luer (mais ils perdent alors leur nature pri­maire), ils sont pris au piège d’une récur­rence dans laquelle ils enferment les auteurs et les lec­teurs qui s’y frottent.
Pour­tant, l’auteur s’est ins­tallé dans cette thé­ma­tique exi­guë avec de réelles qua­li­tés de conteur et les 500 pages que compte l’ouvrage « s’avalent » alors sans dif­fi­culté. Deux rai­sons essen­tielles à cela : (i) la plume est cise­lée, dyna­mique, et s’adosse à un voca­bu­laire riche et pré­cis, tant dans ce qu’elle décrit que dans ce qu’elle met en mou­ve­ment ; (ii) à l’instar de ce qui peut être constaté dans la lit­té­ra­ture contem­po­raine du genre (on pense, à titre d’exemple, aux « Déchar­nés » de Paul Clé­ment), la pré­sence de ces créa­tures dans PariZ trouve son véri­table inté­rêt à tra­vers ce qu’elle pro­voque chez les vivants, en les construi­sant et en les fai­sant évo­luer, au sin­gu­lier et au plu­riel, dans un uni­vers apocalyptique.

Trois clo­chards (« la Goutte ; la Gâchette ; la Gobe ») se terrent dans les sous-sols du métro pari­sien pour échap­per aux Zom­bies, qui ont envahi Paris. Dans leur péré­gri­na­tion, ils croisent (mal­gré eux) deux sol­dats de la Res­tau­ra­tion Fran­çaise qui, sous les ordres d’un colo­nel en marge de l’armée « régu­lière », se doivent de rem­plir une mis­sion tenue pour secrète. Avec des pers­pec­tives aux anti­podes les unes des autres, les deux petits groupes, fina­le­ment moins vul­né­rables ensemble que sépa­rés, vont ten­ter de col­la­bo­rer en vue de par­ve­nir à leurs fins. Chose faite, ils rejoin­dront alors l’Assemblée Natio­nale, tom­bée aux mains de la Res­tau­ra­tion, où un autre com­bat les attendra.

«  Plai­sirs »
Ces plai­sirs naissent dans les per­son­nages (vivants) qui animent l’histoire – (vrais) clo­chards d’un côté ; (pseudo) mili­taires de l’autre – et qui n’ont pas pour habi­tude de coha­bi­ter ou de col­la­bo­rer  ; dans leur lan­gage, évo­ca­teur de leur condi­tion, de leur manière d’être et de pen­ser. Iso­lé­ment, ils ont tous un passé, une his­toire, qui leur donne un mini­mum de pro­fon­deur pour qu’on s’y inté­resse, qu’on les aime (ou pas), qu’on les com­prenne (ou non). Ensemble, et pour des rai­sons qui leurs sont propres, ils repré­sentent, dans leur misère phy­sique ou morale, l’antichambre des morts qu’ils fuient et com­battent.
Plai­sirs qui se confirment dans les détails de l’univers dans lequel l’histoire prend racine et gran­dit. Ces détails sont d’une pré­ci­sion d’orfèvre, laquelle témoigne d’un sens de l’observation et d’une capa­cité à res­ti­tuer l’existant très affû­tés. Tous les usa­gers des lignes de métro dans les­quelles se plante une par­tie du roman, tous ceux qui connais­sant les monu­ments de la capi­tale, ses rues et son his­toire, tous ceux (pro­ba­ble­ment moins nom­breux) qui connaissent les avions de chasse, les héli­co­ptères de com­bat ou de recon­nais­sance, pour­ront en témoi­gner. Cette pré­ci­sion rend le décor « ultra réa­liste » au point de s’y pro­je­ter. Et pour ceux qui connai­traient moins Paris (car Paris n’est pas le centre de la France – ni du monde), son métro ou notre arse­nal mili­taire, elle en donne une image très fidèle.
Des plai­sir qui s s’achèvent dans les bribes de poli­tique abor­dées par l’auteur dans un monde en déli­ques­cence. Même là, et alors que leur sur­vie est en jeu, les hommes trouvent le moyen de s’opposer sur des concep­tions de la société qui n’ont plus lieu d’être compte tenu des cir­cons­tances et de s’entretuer sur l’autel du pou­voir et de l’influence.
D’une manière géné­rale, enfin, ce plai­sirs se trouvent dans la capa­cité réelle de l’auteur à conter.

«  Regrets »
On regret­tera, en pre­mier lieu, une intrigue qui manque un peu d’originalité. Mais par force des choses, car l’essence même de la thé­ma­tique exige, avant tout, que les vivants sur­vivent aux morts, qu’ils leur échappent, qu’ils les éra­diquent. Et presque tout est orches­tré dans cette pers­pec­tive. Si les lieux, les per­son­nages et la plume font la dif­fé­rence, ils ne per­mettent pas au roman d’échapper à cette logique un peu binaire. Les autres consti­tuants de l’action, qui sor­taient pour­tant des sen­tiers bat­tus, s’en trouvent relé­gués au second plan.
On regret­tera, ensuite, que les traits de cer­tains per­son­nages n’aient pas été davan­tage déve­lop­pés, et dès le début de l’histoire. On pense, en par­ti­cu­lier, à ce qu’on découvre sur la Goutte et sur l’un des sol­dats en fin d’ouvrage. Ces révé­la­tions auraient pu confé­rer une dyna­mique plus sou­te­nue et plus pro­fonde aux inter­ac­tions que les per­son­nages déve­loppent entre eux, et créer un paral­lèle fort de sym­boles entre les Zom­bies et ce qu’avait vécu la Goutte, dans son loin­tain passé.
On regret­tera, enfin, que la phy­sio­no­mie et le « fonc­tion­ne­ment » trop clas­siques des Zom­bies aient été conser­vés. Par­tant, le che­mi­ne­ment de la Goule (mort), tout au long de l’ouvrage, offre peu de relief (mis à part le cha­pitre sur ce qui se passe dans sa tête… et qui n’est pas une erreur de mise en page). Ce n’est guère que lorsque sont abor­dés les moments ayant pré­cédé sa muta­tion que le véri­table lien avec le per­son­nage prend « vie ». Et ces moments ne nous sont pas suf­fi­sam­ment contés.  Mais, ici encore, ces créa­tures (la Goule, comme toutes les autres) se doivent d’obéir à un cer­tain stan­dard. Ne pas le res­pec­ter les ferait évo­luer vers d’autres formes de monstres, plus éla­bo­rés, moins « zombiesques ».

«  Reproches »
S’il fal­lait en faire un seul : la plume de l’auteur est entra­vée par une thé­ma­tique trop étroite pour les qua­li­tés qu’elle recèle. Cette thé­ma­tique n’est en rien contes­table, ou dénuée d’intérêt, mais la pro­blé­ma­tique dans laquelle elle enferme est, pour ainsi dire, inso­luble. Conser­ver les Zom­bies « dans leur pre­mier jus » piège dans les filets de la redite. Les faire évo­luer éloigne défi­ni­ti­ve­ment du genre. Mais, pour tous les amou­reux des morts-vivants qui ne s’embarrassent pas de cette dia­lec­tique, PariZ est un livre à lire !  Même si, au-delà de la thé­ma­tique, l’auteur s’abandonne peut-être trop sou­vent à des des­crip­tions qui confinent au cata­logue, en par­ti­cu­lier lorsqu’elles ne s’imposent pas (revers d’une trop grande pré­ci­sion).
En bref, nul doute qu’un auteur est né (ou qu’il a muté, lui aussi, mais du jour­na­liste au roman­cier) et qu’il est por­teur de belles pro­messes. Avec toute l’humilité qui doit carac­té­ri­ser l’avis du chro­ni­queur, on a très envie de l’inviter à s’essayer dans un genre plus large qui per­met­tra à sa plume les embar­dées néces­saires à l’avènement d’une patte.

dar­ren bryte

Rodolph Casso, PariZ, Edi­tions Cri­tic, 6 octobre 2016, 464 p. – 22,00 €.

 

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