Adepte des auditeurs dominicaux de France Culture pour « Les Papous dans la tête », Jacques Jouet y a sans doute trouvé l’idée première de son dernier projet. Il devait transformer la fin d’une scène du Bourgeois Gentilhomme de la prose à la forme versifiée « achevant » ainsi un travail que Molière avait traité par-dessus la jambe, histoire de donner du grain à moudre à sa troupe.
L’exercice est parfait pour les Oulipiens et pour les professeurs en mal d’exercices (pour peu que leurs élèves soient motivés). Et une fois sur sa lancée, Jouet ne s’est pas arrêté. Il a repris le texte dans sa totalité afin d’y mêler ses lisières indécises et ses clairs-obscurs (plus obscurs que clairs) versifiés. Abolissant le hasard de la prose, Jouet y introduit la géométrie dans l’espace de l’alexandrin : à l’illimité fait place la coupure. Suintent de ses blessures d’abord la drôlerie puis un certain ennui.
La farce — fût-elle induite d’une flopée de références — trouve ses limites même si l’enjoué Jouet joue les virtuoses. Entre Monsieur Jourdain et ses maîtres, le texte limpide devient souvent alambiqué. La distillerie stylistique offre un alcool trop chiche en degrés. Il existe beaucoup de chevilles pour tenter de donner à l’ensemble un semblant de ferronnerie verbale. Anachronismes et approximations programmées — histoire de caresser le lecteur dans le sens du poil — ne changent rien au projet.
En effet, lorsque les après-ski servent de chausses et que Jouet rate ses effets, faut-il s’en prendre à Molière ? Se fier aux vers de l’Oulipien donne envie de revoir la Normandie du dramaturge (ce qui n’est d’ailleurs pas si mal). Mais le texte, en lieu et place des plages moliéresques, semble un mur de l’Atlantique. En voulant le franchir tels les soldats alliés, les lecteurs s’embourbent dans les labyrinthes verbaux.
Les vétérans de l’auteur de Dom Juan préféront s’en remettre aux insignes de ses régiments prosaïques. Certes, Jouet ne prétend pas se comparer à Molière mais l’exercice finit par lasser.
Ce qui s’écoute d’une oreille discrète — pendant une poignée de minutes avant le tiramisu du dimanche midi -, lors d’une lecture plus longue invite à la sieste. Elle est alors moins crapuleuse que roborative.
jean-paul gavard-perret
Jacques Jouet, Le Bourgeois versifié, P.O.L éditeurs, 2017, 208 p. — 15,00 €.