Michel Crépu, Vision de Jackie Kennedy au jardin Galliera

Du mau­vais usage de la sublimité

A entendre cer­tains cri­tiques ça et là, la vision d’un tel livre serait de l’ordre d’un grand oiseau qui vole dans le temps passé et auquel la voix mélo­dieuse de l’écrivain per­met­trait d’éprouver les tour­billons ascen­dants dans l’air chaud de Paris. Des alter­nances d’aigus et de graves en repré­sen­te­raient les bat­te­ments d’ailes. Le mou­ve­ment du livre serait com­pa­rable à celui des ailes car, écrit Crépu, «Ce qui est inou­bliable ne laisse pas de trace ».
Et, ajoute l’auteur, « c’est pour­quoi on écrit tant de pages pour en avoir le cœur net ». Mais ce « on » dis­persé dans le Paris des années 60 est lui aussi oiseau d’un style ampoulé pour pou­lettes lit­té­raires. Pour les autres (et coqs com­pris), la romance cré­pienne tombe des mains sous le coup d’évocations coton­neuses invaginées.

Crépu, tel le chan­teur de Mexico, chante en orfraie son his­toire d’Orphée amé­ri­caine. L’auteur a sans doute pu voir — comme il le soup­çonne — Jackie Ken­nedy à Paris. Elle venait – hors voyages offi­ciels — y faire ses courses dans les grandes mai­sons de cou­ture pari­siennes (Cha­nel et Yves Saint Laurent). Mais, loin de tout anec­dote, l’auteur pré­fère les arti­fices habi­tuels chers à ses parades lit­té­raires : la musique s’y étend mais avec gou­lots d’étranglements entre­te­nus pour créer une solen­nité adé­quate.
Crépu ne cherche jamais à for­cer le fra­cas mais sa lit­té­ra­ture reste dans une par­faite tra­di­tion hauss­man­nienne et modia­nesque. L’auteur mixe sa vision et des sou­ve­nirs d’enfance et d’en France propres à séduire le lec­teur hyp­no­tisé par les pro­cé­dés méta­pho­riques. Mais dans « son épais­seur tiède d’animal de papier », le livre conduit très vite au pays du som­meil. Si bien que — contrai­re­ment à l’auteur — le lec­teur risque de rater la Cadillac noire de la Pre­mière Dame lon­geant les quais de Seine.

Une telle lit­té­ra­ture ne mange pas de pain mais son roux cou­lis autom­nal séduira : cer­tains y trou­ve­ront un charme sous les ormes, un tempo mezzo piano dont les figures sont gon­flées comme une épi­noche. Mais de tels dépôts glo­rieux enfantent sem­pi­ter­nel­le­ment des har­mo­niques car­ton­neuses. L’auteur a beau faire de Jackie une Béa­trice en goguette, son évo­ca­tion en machine arrière entre rues et allées jar­di­nières crée beau­coup de fal­ba­las pour rien. Des ban­de­roles nos­tal­giques — par manque de souffle — dégrin­golent sur l’asphalte ou les gra­viers d’une mémoire molâtre et tein­tée d’iode tan­dis que s’éloigne l’Astre du Nou­veau Monde.
Imaginons-la tirer sa jupe sur ses genoux dans la limou­sine qui va vers le cou­chant. Silence. Le lec­teur dort.

jean-paul gavard-perret

Michel Crépu,  Vision de Jackie Ken­nedy au jar­din Gal­lieraGal­li­mard,  col­lec­tion Blanche, 2017.

Leave a Comment

Filed under On jette !, Romans

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>