Du mauvais usage de la sublimité
A entendre certains critiques ça et là, la vision d’un tel livre serait de l’ordre d’un grand oiseau qui vole dans le temps passé et auquel la voix mélodieuse de l’écrivain permettrait d’éprouver les tourbillons ascendants dans l’air chaud de Paris. Des alternances d’aigus et de graves en représenteraient les battements d’ailes. Le mouvement du livre serait comparable à celui des ailes car, écrit Crépu, «Ce qui est inoubliable ne laisse pas de trace ».
Et, ajoute l’auteur, « c’est pourquoi on écrit tant de pages pour en avoir le cœur net ». Mais ce « on » dispersé dans le Paris des années 60 est lui aussi oiseau d’un style ampoulé pour poulettes littéraires. Pour les autres (et coqs compris), la romance crépienne tombe des mains sous le coup d’évocations cotonneuses invaginées.
Crépu, tel le chanteur de Mexico, chante en orfraie son histoire d’Orphée américaine. L’auteur a sans doute pu voir — comme il le soupçonne — Jackie Kennedy à Paris. Elle venait – hors voyages officiels — y faire ses courses dans les grandes maisons de couture parisiennes (Chanel et Yves Saint Laurent). Mais, loin de tout anecdote, l’auteur préfère les artifices habituels chers à ses parades littéraires : la musique s’y étend mais avec goulots d’étranglements entretenus pour créer une solennité adéquate.
Crépu ne cherche jamais à forcer le fracas mais sa littérature reste dans une parfaite tradition haussmannienne et modianesque. L’auteur mixe sa vision et des souvenirs d’enfance et d’en France propres à séduire le lecteur hypnotisé par les procédés métaphoriques. Mais dans « son épaisseur tiède d’animal de papier », le livre conduit très vite au pays du sommeil. Si bien que — contrairement à l’auteur — le lecteur risque de rater la Cadillac noire de la Première Dame longeant les quais de Seine.
Une telle littérature ne mange pas de pain mais son roux coulis automnal séduira : certains y trouveront un charme sous les ormes, un tempo mezzo piano dont les figures sont gonflées comme une épinoche. Mais de tels dépôts glorieux enfantent sempiternellement des harmoniques cartonneuses. L’auteur a beau faire de Jackie une Béatrice en goguette, son évocation en machine arrière entre rues et allées jardinières crée beaucoup de falbalas pour rien. Des banderoles nostalgiques — par manque de souffle — dégringolent sur l’asphalte ou les graviers d’une mémoire molâtre et teintée d’iode tandis que s’éloigne l’Astre du Nouveau Monde.
Imaginons-la tirer sa jupe sur ses genoux dans la limousine qui va vers le couchant. Silence. Le lecteur dort.
jean-paul gavard-perret
Michel Crépu, Vision de Jackie Kennedy au jardin Galliera, Gallimard, collection Blanche, 2017.