Elise Senyarich propose moins des histoires graphiques que des univers où l’extraordinaire et le mirifique deviennent à la fois monnaie commune et biais étranges et instinctifs. Dans ces créations l’animalité rejoint une vision qui sait tout de la nuit de l’inconscient, de l’amour et du quotidien. Tout un univers corporel, sensoriel, physique, mental s’agite. Les taciturnes burnes y sont rares mais les cacophonies nombreuses. La fulguration les figurations forment des constellations neuves à base d’effractions, interstices et dévoilements déplacés.
Le rire que procure une telle œuvre tient à la capacité d’Elise Senyarich de fabuler à partir d’un certain nombre d’éléments primitifs. Ils deviennent des figures ironiques de la farce humaine. Lignes et formes, couleurs et pans, inserts lexicaux créent en toute délectation un chemin constitué d’associations irrévérencieuses. L’art devient aussi premier et rupestre que faussement sacré mais totalement dégingandé.
Au lecteur de prendre le temps de savourer les détails de telles images, d’entrer dans leurs strates et de franchir les portes d’une psyché dont les gouffres sont aussi obscurs et drôles. Non seulement l’œuvre suscite le rire : elle ouvre un fantastique voyage d’exploration mégalomane autour d’une Terre dont la circonférence restera incertaine et le centre toujours inconnu. Il se peut même que — conformément au « fake news » à la mode du temps — notre planète devienne plate. Moins ronde qu’une crêpe ou oblongue qu’une limande, elle semble plutôt carrée en fidélité aux pages que l’artiste ne manque pas de gaufrer.
Jaillit le plus jouissif art underground. S’y dégage une polychromie intense et des sujets a priori marginaux face à l’historiographie avide de stéréotypes. Dans la jungle du livre, les dessins bâtards créent une esthétique forte et rare. Un majordome ou une femme major est toujours proche d’introduire du gigot dans les orifices d’hôtes rouge bourgogne. L’image devient gigogne et cigogne plénipotentiaire pour ramener le printemps et le bordel là où tout se voudrait onction extrême. Les protocoles sont mis hors de leurs gonds : l’artiste roule des pelles et pousse des brouettes dans les soirées d’ambassadeurs Ferrero comme dans les souks et forêts aussi amazoniennes que stambouliotes.
jean-paul gavard-perret
Elise Senyarich, Chantiers du temps, Dessins, Voix Editions, Richard Meier, 2017.