Le scepticisme est devenu peu à peu invincible chez Blanchot. Néanmoins et avant la publication de Thomas l’Obscur en 1941, l’auteur a déjà derrière lui une bonne centaine d’articles destinés entre autres à des publications telles que La Revue Universelle, Le Journal des Débats, Le Rempart, Aux Écoutes, Combat et L’Insurgé. A l’époque chez l’auteur, le doute sans appel n’est pas encore de mise et celui-là se permet de nombreuses réfutations idéologiques. Il garde l’ambition, dans ses chroniques des années trente, d’agir sur le monde et de dénoncer bien des ruses idéologiques. Il combat les dogmatismes en mettant en joue des présupposés insatisfaisants qui piétinent des valeurs que Blanchot veut défendre.
Loin du nihilisme « maniaque », il voudrait en finir avec la «France corrompue» et affirme, comme pour précipiter le destin des mouvements «non conformistes» de l’époque, que seule la révolution est urgente et «nécessaire». Il existe sans doute un aspect un peu « naïf » chez celui qui affirme néanmoins des positions qui n’ont rien de négligeables puisqu’elles sont toujours d’actualité. Blanchot y fait preuve d’attention éclairée sur le monde avant de se rendre compte que la politique résulte chez ceux qui la pratiquent d’un mauvais mais volontaire usage des mots afin de cacher le réel au nom d’intérêts qui se gonflent d’une prétention parfois sotte et invincible. D’autant que dans les revues qui l’accueillent l’auteur comprend que les responsables semblent lui laisser une certaine liberté qui n’est que d’apparence.
Très vite ‚la « tragi-comédie » de la politique, Blanchot la quittera pour des amitiés littéraires — Jean Paulhan et Queneau dans le début des années quarante. Et il considère ses textes politiques comme « à fonds perdu et sans attente ». Sans doute, de son vivant, l’auteur n’aurait pas laissé publier ces textes. Entre autres parce qu’il se sentait « démissionnaire » par rapport à des écrits dont l’occupation allemande signe de facto la fin. Drieu lui demande à l’époque de bien vouloir continuer à écrire dans la NRF « à condition d’écarter tous textes politiques ». Mais Blanchot sentit le piège. Il lui fit remarquer que « écrivain inconnu je ne constituerais pas une digue suffisante contre les occupants ». Et il voyait qu’une page se tournait. Pour la NRF. Pour lui-même. A ses textes politiques allait se substituer la masse d’articles littéraires (réunis dans La condition critique — articles 1945–1998, Gallimard, 2010).
Toutefois, ce corpus politique permet de reconsidérer un auteur que certains — en prétendant jouer fin — ont voulu « salir » en le taxant de positions douteuses. Mais Blanchot comme toujours y est honnête et sans calcul. Il ne cherche jamais une position de pouvoir. Ses écrits déjouent les préventions et déconcertent les calculs. L’auteur reste avant tout un clairvoyant modeste et résolu. Pourrait-il être accusé d’agir en aveugle là où existe de fait dans son approche un travail épris de liberté et de justice ?
Blanchot n’était pas homme à entrer dans le jeu des combinaisons et des ruses politiques. L’œuvre est à séparer de ceux qui ont fait métier du compagnonnage partisan. Son travail reste singulier et il séduit plus qu’il déroute sauf ceux bien sûr qui ont besoin de doxas idéologiques pour penser. Face aux Sartre, il faudra toujours des « sauve qui peut la vie » à la Blanchot. Il préféra avec Beckett le silence — et comme l’écrit ce dernier — «aux voix qui parlent se sachant mensongères ».
jean-paul gavard-perret
Maurice Blanchot, Chroniques politiques des années trente (1931–1940), Édition de David Uhrigoll. Les Cahiers de la NRF, Gallimard, Paris, 2017.