Entre le réel trivial et la poésie pure
A l’espace balisé, au « cadre » étroit et à la conduite forcée d’un support (ici le papier) Claude Viallat propose ses propres empiétements. Ne refusant jamais la contrainte de la surface, il la « tord » à sa manière. Pas besoin de plis ou de déchirures : seul le dessin agit pour toucher au plaisir sans doute mais aussi — et sous le feu des couleurs et des jeux de répétitions — à nos possibilités d’angoisse et souvent à la réflexion.
Certains dessins sont plus anecdotiques que d’autres mais se redécouvrent les voies que l’artiste a choisies depuis longtemps afin d’interpeller nos certitudes par ses traversées. Laissant souvent visible une partie du support, Viallat déploie un acte poétique construit sur l’exécution d’une réitération de motifs abstraits : traits et couleurs s’interrompent et reprennent afin que le souffle des formes ne cesse.
Transcendant — mais en son cadre — les limites du support, le peintre y introduit des formes qui s’abîment en lui afin qu’un passage ait lieu. Une faille est donc introduite dans le dessin, sans interruption et afin que l’imaginaire en porte-à-faux gagne en ouverture dans les tracés et les couleurs comme si la main du peintre le façonnait « aveuglément » pour le faire apparaître autrement.
Du neutre enveloppant du support débouche une spatialité particulière. Excoriée et remisée, la surface travaille entre le réel trivial et la poésie pure, Viallat y introduit ses fétiches particuliers, ses rémanences formelles. Manière de jouer avec le principe du réalité afin d’établir une loi esthétique particulière. Elle joue souvent de l’effet de répétition ou « papier-peint ». C’est la manière pour Viallat de (et à proprement parler) mettre le paquet, de dérouler la peinture tout en lui aménageant un suspense.
jean-paul gavard-perret
Claude Viallat, Dessins, Ceysson Editions d’art, Saint Etienne, 2017, 408 p. — 120,00 €.