Une brillante vision de l’heroic fantasy
Dans son œuvre consacrée à la science-fiction, Pierre Bordage a exploré nombre de sous-genres, du space opera à l’anticipation, du fantastique au post-apocalyptique, de la fiction spéculative au planet opera… En 2017, il propose deux explorations nouvelles : le voyage temporel avec Échos dans le temps (J’Ai lu n° 11637) et l’heroic fantasy avec La Désolation, le premier tome d’Arkane, une série présentée comme un diptyque.
Pendant l’énorme crue de l’Odivir, les populations furent emportées. Sept familles ont été sauvées par les serviteurs des déesses et se réfugièrent sur la plus haute colline. Ces familles ont fondé Arkane, une ville labyrinthique, et ont pris le nom de ceux qui les avaient sauvés. Il y eut, ainsi, la famille du Drac, de l’Aigle, du Dauphin… Oziel du Drac, chaque matin, emprunte une issue dérobée pour explorer les Hauts, au-delà des limites de son domaine. Ce matin, elle est troublée par l’absence des légionnaires. Elle perçoit une rumeur qui va gonflant et comprend qu’on s’en prend à sa maison. L’exil de son frère aîné, Matteo, dans les Fonds était le début d’un plan mûrement réfléchi.
Lorsqu’elle arrive elle ne trouve que des cadavres. Seul Xaron, son précepteur, a survécu endormi dans un lieu protégé. Il veut la mettre à l’abri et la livrer à Sylver, de la maison de l’Aigle, un garçon brutal qui la convoite et veut en faire sa putain. Enfermée sous bonne garde, elle désespère. Le soir, passablement ivre, Sylver veut faire valoir ses droits de vainqueur. Alors qu’il va, malgré la lutte acharnée d’Oziel, parvenir à ses fins, elle lui plante son arme dans la gorge. Pour fuir, elle échange ce qui lui reste de vêtements avec ceux de la servante. Celle-ci, ayant eu à subir les assauts de la brute, le hait. Mais sa fuite est vite découverte et une course poursuite s’engage dans les Hauts.
Renn ne sait rien faire dans la ferme paternelle. Aussi, quand sa grand-mère raconte que sur son passage une pierre a changé de forme, ses parents le placent comme apprenti chez Maître Hauhorn, un enchanteur de pierre. Mais, malgré deux ans d’apprentissage, Renn ne fait pas de progrès. Il désespère face à un bloc qu’il doit transformer en fleur, quand surgit un guerrier. Celui-ci a quitté son armée vaincue pour prévenir les autorités d’Arkane de la menace qui va fondre sur la ville, une armée de conquérants qui a déjà rasé le royaume de Mandrill et que rien n’arrête.
Oziel n’a pas d’autres choix que de rejoindre les Fonds, de s’y cacher en s’inoculant la lèpre, retrouver son frère et se venger de la destruction de son clan.
Pour animer son récit, Pierre Bordage retient deux jeunes adultes. Oziel, âgée de dix-neuf ans vient d’une noble famille et a toujours vécu dans le luxe, ne manquant de rien. Renn ne connaît de la vie que les difficultés, le froid et l’échec. Avec ces deux personnages, l’auteur concocte un roman d’apprentissage, les lançant dans un parcours initiatique où il faudra qu’ils aillent au bout d’eux-mêmes pour vaincre les difficultés sans nombre que leur créateur dresse sur leur chemin. Ils sont, l’un et l’autre, à la découverte d’univers inconnus, face à des dangers qu’ils ne sont pas préparés à vaincre.En fin connaisseur de la nature humaine, Pierre Bordage va pousser ses antihéros à évoluer, à muter. Ainsi, Oziel, cette gracieuse jeune fille, doit perdre sa beauté pour survivre. Renn emboite les pas d’un guerrier alors qu’il n’est qu’un médiocre fermier. Ils vont être confrontés à tout ce que peut receler la nature humaine, tant dans sa splendeur que dans sa laideur.
Le romancier excelle également dans l’art de créer des mondes novateurs, des univers peu communs. Il ne fait pas exception à sa règle et propose une description apocalyptique des Fonds, un bagne sordide. Est-ce une image de la condition ouvrière ? Parallèlement à ces deux parcours, Pierre Bordage s’intéresse à Noy, un membre d’une maison, qui cherche à connaître les raisons du massacre du Drac et les tenants de la conspiration qui a abouti à cette situation. S’il sacrifie à quelques archétypes du genre comme l’introduction de la magie, l’auteur offre un récit enlevé, rythmé par des trahisons, des meurtres sans nombre. Il brosse quelques portraits profondément humanistes et n’oublie pas de fustiger l’obscurantisme tant politique que religieux (Et là, il y a matière actuellement !)
Ce premier volume se lit avec intérêt et passion tant son écriture est agréable, son style plaisant, son intrigue relevée et ses personnages attachants. Une nouvelle réussite littéraire à mettre à l’actif de ce formidable romancier.
serge perraud
Pierre Bordage, Arkane, t.1 : “La Désolation”, Bragelonne, février 2017, 432 p. – 25,00 €.