A 15 ans, Fatemeh croupit dans une cellule et attend d’être pendue. Nous sommes en Iran. Point de salut pour qui refuse de pactiser ves les bourreaux
Nous devons à Chahdortt Djavann des essais d’autant plus intéressants qu’ils se placent d’emblée au cœur du débat politique actuel : À mon corps défendant, l’Occident (Flammarion, 2007), Bas les voiles ! ou encore Que pense Allah de l’Europe ? (tous deux parus chez Gallimard respectivement en 2003 et 2004). Il est vrai que le parcours peu banal de cette intellectuelle iranienne, anthropologue de formation, confère à ses réflexions une légitimité que personne ne songerait à leur dénier.
Après avoir fui la dictature de son pays en 1993, Chahdortt Djavann s’installe la même année à Paris sans connaître un mot de français. Or seules quelques années vont lui suffire pour, non seulement apprendre à la parler, mais encore écrire directement dans notre langue un premier roman au titre sans ambiguïté Je viens d’ailleurs (Autrement, 2002). Une jeune aspirante à la nationalité française y témoigne de la tragédie vécue au quotidien par les Iraniens et en particulier les Iraniennes. Le même thème nourrira un second roman paru quatre ans plus tard : Comment peut-on être français ? (Flammarion, 2006). Devenir française, après avoir fui le régime des mollahs instauré par Khomeyni depuis la révolution de 1979 : relayée par les porte-voix de ces deux fictions (on ne peut en effet s’empêcher de se dire que ces exilées sont ses doubles), telle est l’obsession de la romancière elle-même qui, au passage, n’hésite pas à pointer du doigt un certain nombre de nos travers.
Pour la jeune fille (déjà femme à 15 ans) du dernier roman de Chahdortt Djavann, Fatemeh, il est trop tard pour rêver à l’avenir. Elle n’aura pas eu la chance des héroïnes précédentes. Nous sommes en Iran. Or, en Iran, point de salut pour ceux qui ont refusé de pactiser avec les bourreaux. Tel est le cas de Fatemeh : À chacun le sort qui lui échoit, ainsi va la vie. constate-t-elle cependant avec la sagesse du proverbe persan. Elle croupit dans une cellule où elle attend d’être traînée sur la place publique pour y être pendue. Dans son malheur, une seule consolation, si l’on peut dire, l’étrange magnanimité de son geôlier qui, sur ses instances, consent à lui passer de quoi lui permettre de raconter son histoire, soit du papier et un crayon. Cela formera un journal, puis un colis qui tombera plus tard, par le plus pur des hasards, entre les mains d’un journaliste iranien, lequel l’enverra par la valise diplomatique à l’écrivaine exilée en France, chargée de le publier.
Ainsi le lecteur apprend-il que l’unique bonheur qu’ait connu Fatemeh au cours de sa brève existence se résume à sa passion pour “la muette”.
Sa façon absolue de s’être murée dans le silence imposait aux autres le respect et parfois les effrayait ; se taire signifiait peut-être ne pas trahir la vérité. On en était venu à l’appeler la muette. L’était-elle réellement ? Personne ne le savait, car elle ne l’avait pas toujours été ; jusqu’à ses dix ans, elle parlait. Plus tard, bien que muette, elle faisait parler son silence comme personne. (…) Elle me manque, ma tante muette. Elle s’était tue, mais son cœur ne s’était pas fermé.
Cette absence, et les événements qui l’ont précédée, Fatemeh en révèle peu à peu les motifs jusqu’à la tragédie finale sur laquelle s’achève sa confession, quelques heures avant son exécution. Ses ultimes mots seront pour la muette :
Je pensais à la muette et me suis rendu compte que la souffrance et la solitude de ma tante ne s’étaient pas effacées (…), elles étaient devenues miennes. La muette et moi avions la même mauvaise étoile. Je la portais en moi…
Naturellement, le lecteur ne peut que compatir au calvaire de Fatemeh. Comme aux difficultés qu’affrontaient les personnages antérieurs de Chahdortt Djavann pour conjurer le souvenir d’un passé dramatique. D’où vient alors qu’il ne soit jamais vraiment ému par la détresse dont on lui parle ? Est-ce parce que l’auteure croit devoir surenchérir sur celle-ci sans toujours éviter le pathos, tout en recourant à une écriture émaillée de clichés qui finissent par créer une désagréable impression de déjà lu ? Nous ne pouvons nous empêcher de penser, pour notre part, que les essais de Chahdortt Djavann sont finalement plus indispensables que ses romans. En ce qu’ils représentent chacun les pièces d’un procès qui n’a pas besoin d’artifices littéraires pour entraîner notre adhésion sans réserve à la cause qu’il défend.
d. henique
Chahdortt Djavann, La muette, Flammarion, mars 2008, 116 p. — 14,00 €. |