Richard Meier, La lecture est la lame de la voix haute

Le livres d’ombre des lumières ou « les ini­tiales historisées »

Richard Meier pour­suit un tra­vail tor­turé et jouis­sif. D’entre les lignes et les pages s’instruit une lal­la­tion orgas­mique. Le tout en un de ces car­nets qui devient un « labo­ra­toire d’humeur ». La tache d’encre (chaque coin gauche de la page du car­net étant trempé dans un bac d’encre) fait bat­te­ments d’ailes. Ceci étant, les mots passent entre les cuisses sombres que la dis­po­si­tion symé­trique du noir ouvre. D’autres vocables se contentent d’en lon­ger les pentes au moment où cer­tains col­lages phras­tiques per­mettent au dis­cours de se pour­suivre.
Un ran­ge­ment a lieu façon abé­cé­daire. La prio­rité pour­rait sem­bler accor­dée au livre en tant qu’objet mais qu’on ne s’y trompe pas : les mor­ceaux de mots sont arra­chés au vide même si rien ne semble les ancrer ou les fixer sinon leur pre­mière lettre. Ce mon­tage fait de chaque double page une sai­son pri­me­sau­tière. Du A tiré d’un Aleph héral­dique au Z de la fin des fins en guise de clô­ture, le livre tient autant d’un cabi­net d’amateur éclairé que de l’art et la manière d’aborder un « les mots, mode d’emplois ».

Richard Meier pro­pose un tra­jet plein d’inattendus, de clins d’œil facé­tieux. Sa règle du jeu le rend inter­ro­ga­teur obs­tiné des traces et des signes. Le tout pro­pulsé par la réflexion et édi­fié selon une mémoire incons­ciente gui­dée par les mots vec­teurs comme cer­tains psy­cha­na­lystes le pra­tiquent. Mais le créa­teur brouille les lignes, l’espace du texte et du livre défi­lant en obliques, ver­ti­cales et hori­zon­tales.
Refu­sant l’idée de Mau­rice Blan­chot selon lequel les livres « ne cessent de retour­ner la mort », ceux de Meier repré­sentent tout sauf un cime­tière. Le Car­net devient un lieu vivant dont l’auteur renou­velle la dyna­mique en une forme d’errance pro­gram­mée dans un capi­tal d’images évo­cables par leurs vocables. Péné­trer un tel lieu revient à entrer — conquis — en son ter­ri­toire mais jamais en ter­ri­toire conquis. « Mar­che­pied du verbe haché », le livre repré­sente une nar­ra­tion filée et migra­toire. Le souffle y passe, ondule en une odys­sée panique jusqu’à son der­nier « zeste » et son «énième variante ».

Celui qui regarde un tel livre ne peut res­ter droit comme un i face à un tel diver­tis­se­ment para­doxal. Celui-là est trans­formé en ilote tant les tech­niques sont nom­breuses pour accor­der aux mots des “ moyens ” d’isoler leur puis­sance de feu : ils se font traits mais aussi beau linge par­fois brodé, armo­rié, den­telé.
L’auteur allie la plus haute noblesse ver­bale au plus modeste tra­vail ména­ger si bien que le lit­té­ra­ture, en étant hors de ses gonds, prend une autre dimen­sion trou­blante qui hausse sa voie pour le redis­tri­buer en âme de fonds.

jean-paul gavard-perret

Richard Meier, La lec­ture est la lame de la voix haute, Edi­tions Voix / Richard Meier, 2017.

1 Comment

Filed under Arts croisés / L'Oeil du litteraire.com, Chapeau bas, Poésie

One Response to Richard Meier, La lecture est la lame de la voix haute

  1. Meier

    Perdu dans mes car­nets, ces notes et éclai­rages ern­contrent et ampli­fient le petit rien venu avec mon humeur. Merci à nou­veau.
    Richard

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