Il existe un trouble volontaire dans la Traversée du visage. Hervé Martin cultive une ambiguïté assumée quant au “tu” vers lequel il se dirige. Le pronom est en partie — mais en partie seulement — réflexif : car ce dialogue intérieur s’adresse à quelqu’un de plus vaste que le « moi ». Dès lors, la “dissipation des mots” permet d’atteindre ou du moins d’approcher “l’épicentre du corps” à travers leur miroir.
“Je” est donc un autre auquel le “tu” renvoie pour s’en approcher. Il ne s’agit pas le rejeter dans une fosse marine ou commune mais de rappeler sa faim. Le visage ressemble à un seuil pour atteindre la maison de l’être. Celle-ci devient une baraque en feu. Si bien que les cinq temps du livre forment un oratorio où l’auteur se retrouve en compagnie de lui-même mais loin de tout rapport égocentré. Hervé Martin vit avec son disparu pour le rendre vivant. Si bien que chaque poème offre un portrait particulier.
Le livre devient l’histoire du visage qui n’est toujours plus lui-même tout en se rapprochant de sa vérité. Tout pourrait sembler tourner en rond : mais ce n’est pas le cas. Ce que l’auteur déballe n’est pas forcément un cadeau mais un satellite poussiéreux qu’il s’agit de remettre sur orbite. Afin d’y parvenir, “la mémoire / en vertige / fait des touches aux oublis”, elle est à la recherche d’autres mots qui sont non seulement “l’éclaircie du poème” mais de soi-même.
Qu’importe alors si jusque là le regard que le poète portait sur lui-même avait (partiellement) échoué. Peu à peu Hervé Martin voit à l’intérieur de ses images comme au sein de sa propre “machine émotion” chère à Peter Gizzi. Aux limites de la vie et de la pensée, derrière le trou du visage, il retrouve des présences palpables. Entré en lui-même, il provoque une réunion animée d’un frisson profond. Peu à peu, il atteint le vortex du foyer de son être : l’ouragan de naissance crée ainsi une météo de l’existence.
jean-paul gavard-perret
Hervé Martin, Dans la traversée du visage, Editions du Cygne, Paris, 2017, 60 p. - 10,00 €.