Jennifer Johnston, De grâce et de vérité

D’une écri­ture directe, Jen­ni­fer Johns­ton dresse le por­trait d’une femme com­plexe et tor­tu­rée — un roman pre­nant mais un peu décevant

Au nom du père

Sally est actrice de théâtre. De retour à Dublin après avoir triom­phé sur les planches d’Europe et très convoi­tée par Broad­way, elle n’aspire qu’à ren­trer chez elle, auprès de son mari, pour prendre un peu de repos. Mais voilà, à peine ses valises posées, Char­lie lui apprend qu’il la quitte pour de bon. Certes, ses infi­dé­li­tés n’étaient un secret pour per­sonne, sur­tout pas pour Sally. Mais tou­jours, il était resté auprès d’elle, avec elle, et ce mal­gré son désir non par­tagé de fon­der une famille. Épui­sée, érein­tée, les nerfs à fleur de peau, c’en est trop pour Sally qui le met alors sans som­ma­tion à la porte. Seule, face à elle-même, avec pour unique amie sa voi­sine et confron­tée à un agent très enva­his­sant, elle doit affron­ter un passé qui la hante : l’absence d’un père qu’elle n’a jamais connu et dont sa défunte mère n’a jamais voulu lui révé­ler l’identité. Il ne lui reste pour seule famille que son grand-père mater­nel, évêque revêche dont elle n’est pas très proche mais qui désor­mais repré­sente sa der­nière chance de connaître enfin un jour la vérité sur sa famille, sa nais­sance, sa vie.

Commence alors pour Sally une quête éper­due d’identité, soli­taire, avec pour seul repère un ancêtre qui ne lui a jamais témoi­gné ni ten­dresse ni atten­tion. Et si cette dis­tance révé­lait un secret si lourd à por­ter qu’on pré­fère le cacher et se taire plu­tôt que d’affronter les fan­tômes du passé ? Si der­rière ce mur se tenait la vérité tant recher­chée ? Une vérité que Sally va tout faire pour entendre et bri­ser le fossé qui la sépare du der­nier membre de sa famille, quitte à devoir sup­por­ter sa vie entière les consé­quences de ce qu’elle apprendra.

À tra­vers cette recherche déses­pé­rée d’identité, Jen­ni­fer Johns­ton dresse le por­trait d’une femme com­plexe, per­due, ambi­guë et tiraillée entre des sen­ti­ments confus et sombres. Sally, à qui la vie réus­sit pour­tant de fort belle manière, se révèle tor­tu­rée par un lourd passé, pro­fon­dé­ment seule et mal­heu­reuse, mais éga­le­ment com­bat­tive, têtue et per­sé­vé­rante. Une femme qui porte à bout de bras l’histoire de sa famille, face à un grand-père qu’elle connaît fina­le­ment peu. Une his­toire certes dou­lou­reuse, poi­gnante, mar­quée de bout en bout par le men­songe et le déni mais qui, grâce à une écri­ture légère, qui va à l’essentiel, sans détour, touche le lec­teur sans le lasser.

Jenni­fer Johns­ton tient là toute sa force : dans son écri­ture sans fio­ri­ture ni mots inutiles. Elle va droit au but, au plus près des attentes des lec­teurs qui n’ont pas à subir d’interminables des­crip­tions, abu­sives et las­santes. Néan­moins, c’est éga­le­ment là que réside la fai­blesse de l’ouvrage.
Com­ment arri­ver à pas­sion­ner le lec­teur sans ce petit quelque chose que l’on ren­contre chez très peu d’écrivains — sauf à “trop en faire” ? Le pro­blème est là. Le roman se lit faci­le­ment, trop faci­le­ment peut-être pour véri­ta­ble­ment envoû­ter le lec­teur. Il semble même qu’il se finisse au moment où l’analyse des sen­ti­ments aurait dû être la plus com­plexe, la plus per­ti­nente. Là où il aurait été inté­res­sant d’explorer plus pro­fon­dé­ment les consé­quences humaines d’une telle aven­ture. Car Sally obtien­dra ce qu’elle veut. Une vérité bru­tale, inci­sive et sans rete­nue, met­tant ainsi un point final à sa quête mais éga­le­ment au récit. Or, si petit à petit, on trouve ci et là des mor­ceaux de vérité, quelques indices sur le dénoue­ment final qui réel­le­ment intriguent le lec­teur, on est en droit d’attendre un peu plus que ce qui est donné quant à l’impact des réponses apportées.

Ce roman se lit bien mais il lui manque sûre­ment un petit sup­plé­ment d’âme ; il cède trop vite à la faci­lité et laisse un goût d’inachevé. Un thème pour­tant fort poi­gnant et qui aurait mérité plus de pro­fon­deur, d’aller plus loin à la fois dans l’histoire et dans l’analyse des sen­ti­ments. L’écriture, trop hâtive, nous laisse un peu sur notre faim.

v. cher­rier

   
 

Jen­ni­fer Johns­ton, De grâce et de vérité (Tra­duit de l’anglais — Irlande — par Anne Damour), Bel­fond, août 2007, 228 p. — 18,50 €.

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