Faut-il rappeler la fameuse maxime d’Alexandre Dumas relative aux enfants de la Grand Histoire ? Fabien Nury, en digne héritier de ce raconteur d’exception, l’applique avec brio. Il s’attache à exhumer des coulisses de l’histoire officielle des aspects moins glorieux mais si proches de la vérité, si proches de la nature humaine, de son avidité et de sa capacité de nuisance. Les bons sentiments et les belles idées ne pèsent pas lourd face à la cupidité.
En préambule au récit, Godefroid Munongo, ministre du Katanga indépendant, rappelle à ses deux interlocuteurs que sont Armand Orsini, son conseiller spécial, et Bernard Forthys, le directeur général de l’Union-Minière du Haut-Katanga (UMHK), que ce pays a été créé par un mercenaire. Il raconte le parcours de Msiri des années 1830 à la colonisation du territoire par les Belges.
L’indépendance vient d’être proclamée à la suite de celle du Congo. Mais il faut défendre la production des richesses et les installations de l’UMHK contre les agressions du Nord-Congo. Munongo charge Orsini de recruter des mercenaires qui seront payés par la compagnie. Ce dernier s’appuie sur Félix Cantor, un homme qu’il connaît depuis l’Indochine et qu’il considère comme un remarquable officier. Lui, qui baigne dans le milieu des soldats perdus du début des années 1960, va constituer un noyau d’armée.
Mais le désordre règne, les factions tribales s’entretuent et les milices civiles massacrent allègrement tout ce qui passe à leur portée. C’est dans ce contexte de panique qu’à Bakwanga, dans la province du Sud-Kasaï, Alphonse Van Harp décide de fuir avec tous les diamants disponibles demandant à Charlie, son serviteur noir, de l’emmener avec sa famille à l’aéroport. En chemin, ils sont arrêtés par un barrage, leur garde du corps est tué. Ils tentent de fuir mais Charlie décapite son patron, s’empare des pierres et se réfugie dans un camp de transit tenu par l’ONU…
Le Congo, après quatre-vingts ans passés sous la férule belge, accède à l’indépendance le 30 juin 1960. La riche province du Katanga fait sécession le 11 juillet et Moïse Tschombé se proclame président. Le Congo, qui voit partir une région qui concentre d’importantes richesses minières et une zone où les gisements diamantifères sont les plus importants, envoie son armée. Il s’ensuit, comme dans toutes ces périodes de changements, de nombreux massacres et la fuite des civils, surtout les Blancs qui sont pris pour cible de vengeances souvent fondées.
C’est dans ce cadre historique que Fabien Nury place son récit, mettant en scène les différents échelons de pouvoirs et un groupe de mercenaires sur les traces d’une fortune en diamants. Il constitue une magnifique galerie d’ “affreux”, intégrant ces militaires qui pour la plupart ont participé à tant de combats depuis des décennies qu’ils ne savent plus faire autre chose. Il dresse des portraits psychologiques, brosse des caractères qui prennent en compte tout ce que peut générer la nature humaine dans un contexte de conflits, de prises du pouvoir. Il tisse une intrigue qui met en scène nombre de personnages qui veulent s’approprier cette fortune qui se promène dans la nature, à portée de main, mais pas souvent pour en faire profiter la jeune nation qui se crée.
Fabien Nury raconte, avec le ton cynique qui sied à un tel récit, le parcours de ces mercenaires accompagnant ou interférant les réseaux qui se mettent en place.
Sylvain Vallée assure un dessin qui oscille entre réalisme et synthétisation, mais toujours d’une tonicité spectaculaire comme les scènes de batailles et d’affrontements. Il propose une série de “gueules” remarquables, identifiables immédiatement et d’une grande expressivité. La mise en page, avec l’intégration de cartouches, est une excellente idée pour donner toutes les informations sans rien perdre de la force des images, une force d’évocation et une efficacité renforcées par la mise en couleur particulièrement réussie de Jean Bastide.
Diamants, ce premier volet de Katanga illustre bien le talent de ce trio de créateurs et fait attendre une suite bienvenue pour la fin de l’année.
serge perraud
Fabien Nury (scénario), Sylvain Vallée (dessin) & Jean Bastide (couleur), Katanga — t.1 : “Diamants”, Dargaud, mars 2017, 72 p. – 16,95 €.